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François Coppée – “Mois d’Octobre”

“Le mois d’Octobre” François Coppée

Avant que le froid glace les ruisseaux
Et voile le ciel de vapeurs moroses,
Écoute chanter les derniers oiseaux,
Regarde fleurir les dernières roses.

Octobre permet un moment encor
Que dans leur éclat les choses demeurent ;
Son couchant de pourpre et ses arbres d’or
Ont le charme pur des beautés qui meurent.

Tu sais que cela ne peut pas durer,
Mon cœur ! mais, malgré la saison plaintive,
Un moment encor tâche d’espérer
Et saisis du moins l’heure fugitive.

Bâtis en Espagne un dernier château,
Oubliant l’hiver, qui frappe à nos portes
Et vient balayer de son dur râteau
Les espoirs brisés et les feuilles mortes.

François Coppée 1842 – 1908

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Paul Verlaine – “Clochi-clocha”

“Clochi-clocha” de Paul Verlaine 

L’église Saint-Nicolas
Du Chardonnet bat un glas,
Et l’église Saint-Étienne
Du Mont lance à perdre haleine
Des carillons variés
Pour de jeunes mariés,
Tandis que la cathédrale
Notre-Dame de Paris,
Nuptiale et sépulcrale,
Bourdonne dans le ciel gris.

Ainsi la chance bourrue
Qui m’a logé dans la rue
Saint-Victor, seize, le veut ;
Et l’on fait ce que l’on peut,
Surtout à l’endroit des cloches,
Quand on a peu dans ses poches
De cet or qui vous rend rois,
Et lorsque l’on déménage,
Vous permet de faire un choix
À l’abri d’un tel tapage.

Après tout, ce bruit n’est pas
Pour annoncer mon trépas
Ni mes noces. Lors, me plaindre
Est oiseux, n’ayant à craindre
De ce conflit de sonneurs
Grands malheurs ni gros bonheurs.
Faut en prendre l’habitude ;
C’est de la vie, aussi bien :
La voix douce et la voix rude
Se fondant en chant chrétien…

Paul Verlaine 1844 – 1896

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Charles Leconte de Lisle – “La mort du soleil”

“La mort du soleil” Charles Leconte de Lisle

Le vent d’automne, aux bruits lointains des mers pareil,
Plein d’adieux solennels, de plaintes inconnues,
Balance tristement le long des avenues
Les lourds massifs rougis de ton sang, ô soleil !

La feuille en tourbillons s’envole par les nues ;
Et l’on voit osciller, dans un fleuve vermeil,
Aux approches du soir inclinés au sommeil,
De grands nids teints de pourpre au bout des branches nues.

Tombe, Astre glorieux, source et flambeau du jour !
Ta gloire en nappes d’or coule de ta blessure,
Comme d’un sein puissant tombe un suprême amour.

Meurs donc, tu renaîtras ! L’espérance en est sûre.
Mais qui rendra la vie et la flamme et la voix
Au cœur qui s’est brisé pour la dernière fois ?

Charles Leconte de Lisle 1818 – 1894

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Charles Baudelaire – “L’Albatros”

“L’Albatros” Charles Baudelaire

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire 1821 – 1867

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Joachim du Bellay – “Heureux qui, comme Ulysse”

“Heureux qui, comme Ulysse”  Joachim du Bellay

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.

Joachim Du Bellay 1522 – 1560

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Dominique Sagne – “Juin”

“Juin” Dominique Sagne

Ce sacré petit mois de Juin
Couvert des couleurs d’arlequin,
Nous conduit vers l’été, doucement,
Allongeant les jours discrètement.

Les averses, fréquentes, nettoient la nature
Et laissent, derrière elles, un ciel d’azur.
Exaltant, des parfums enivrants
Dans un univers transparent.

Et, pourtant l’on sait sans aucun doute
Que, quand Saint Barnabé, sous la céleste voûte
Coupe le pied de ce pauvre Saint Médard
L’été somnolent n’est jamais en retard.

Et sous un soleil chaud et éclatant
En ce dernier mois du printemps
S’épanouie, la fête de la musique
Nous entraînant, dans une ronde magnifique.

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Pierre de Ronsard – “Sur la mort de Marie”

“Sur la mort de Marie” de Pierre de Ronsard

Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’aube de ses pleurs au point du jour l’arrose ;

La grâce dans sa feuille et l’amour se repose,
Embaumant le jardin et les arbres d’odeur ;
Mais battue ou de pluie ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

Pierre de Ronsard, 1578

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Gérard de Nerval – “Avril”

“Avril” de Gérard de Nerval

Déjà les beaux jours, – la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; –
Et rien de vert : – à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
– Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de Nerval, Odelettes

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Maurice Carême – “Mars”

“Mars” de Maurice Carême

Il tombe encore des grêlons,
Mais on sait bien que c’est pour rire.
Quand les nuages se déchirent,
Le ciel écume de rayons.

Le vent caresse les bourgeons
Si longuement qu’il les fait luire.
Il tombe encore des grêlons,
Mais on sait bien que c’est pour rire.

Les fauvettes et les pinsons
Ont tant de choses à se dire
Que dans les jardins en délire
On oublie les premiers bourdons.
Il tombe encore des grêlons …

Maurice Carême, La lanterne magique 1947

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Le chat

Hildegarde de Bingen, Le livre des subtilités des créatures divines, Physica.

Ch. XXVI : le Chat (de catto)

Le chat est plus froid que chaud : il attire en lui les humeurs mauvaises et n’a pas horreur des esprits aériens, pas plus que ceux-ci ne l’ont en horreur. Il a également une sorte de parenté naturelle avec le crapaud et le serpent. Au plus fort des mois d’été, quand la chaleur est la plus élevée, le chat demeure sec et froid : alors il a soif, si bien qu’il lèche le sol et les serpents, de façon à se réconforter grâce à leur suc et à en tirer un réconfort sans lequel il ne pourrait pas vivre, mais périrait : tout comme un homme a plaisir à goûter du sel pour en tirer un bon goût. Le suc qu’il en tire forme en lui une sorte de poison, si bien que son cerveau et sa chair sont vénéneux. Il ne se plaît pas en compagnie de l’homme, sauf de celui qui le nourrit. Et, à l’époque où il lèche la terre et le serpent, sa chaleur est nocive et dangereuse pour l’homme. Et quand la chatte porte des petits, sa chaleur excite l’homme à la volupté ; le reste du temps, sa chaleur ne sera pas nocive pour l’homme.