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Le 13 avril 1695, Jean de La Fontaine est décédé

à Paris.

Statue de Jean de La Fontaine

Statue de Jean de La Fontaine. Hommes illustres installés autour de la cour Napoléon – Louvre. @Le Rat/ Soracha

Les Fables. – “Je me sers d’animaux pour instruire les hommes”. En 1667, La Fontaine obtient le privilège pour l’impression de son premier recueil des Fables choisies mises en vers, qui paraît l’année suivante. Les fables sont dédiées au Dauphin, âgé de six ans et demi. Les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage.

“Quatre animaux vivant de compagnie
Vont aux humains en donner des leçons.” (Le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat)

“Les Bêtes à qui mieux mieux/ Y font divers personnages.” Mais s’agit-il vraiment d’une littérature pour les enfants ?

Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui.
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feintes, il faut instruire et plaire.

La Fontaine part présenter son ouvrage à Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye où se trouve la cour. “Le roi le reçut avec bonté” rapporte Bontemps, valet de chambre du roi. Un grand dîner est offert en l’honneur du poète et une bourse de 1000 pistoles lui est donnée. Le croyez-vous? En rentrant à Paris où il habite “rue d’Enfer”, notre bonhomme oublie la bourse dans le fiacre. Le voilà parti à la recherche du fiacre et de la bourse … qu’il retrouve finalement !

Une nouvelle édition des Fables choisies en vers, publiées en 1678-1679, est dédiée à Madame de Montespan. Françoise-Athénaïs de Mortemart – favorite de Louis XIV de 1668 à 1680 – a pris le poète sous sa protection depuis 1674. Cette année-là, Boileau exclut Les Fables dans l’Art Poétique, considérant qu’il ne s’agit pas d’une œuvre créatrice. Le temps de l’amitié est loin; Boileau écrit :

Je ne puis estimer ces dangereux auteurs
Qui, de l’honneur, en vers, infâmes déserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice admirable.

Quelques mois plus tôt, La Fontaine a perdu son cher ami Molière qu’il admirait tant. Sans la signer, il publie en juin 1673 dans Le Mercure galant, une épitaphe sur Molière, mort le 17 février :

Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,
Et cependant le seul Molière y gît.
Leurs trois talents ne formaient qu’un esprit
Dont le bel art réjouissait la France.
Ils sont partis! et j’ai peu d’espérance
De les revoir. Malgré tous nos efforts,
Pour un long temps, selon toute apparence,
Térence, et Plaute, et Molière sont morts.

La Chambre du Sublime.- Pour les étrennes de 1675, Madame de Thianges – la soeur de Madame de Montespan – offre à son neveu, le petit duc du Maine – fils de Louis XIV – un jouet, une « chambre miniature qui était aussi un salon », placée sur une table où l’on pouvait admirer le lit, les meubles, les personnages qui y étaient réunis.

« On voyait un lit à balustrade et, dans un grand fauteuil, Monseigneur le duc du Maine qui avait 5 ans. Il tendait à La Rochefoucault des feuillets remplis de vers. Le prince de Marcillac et Bossuet étaient à côté d’eux. Plus loin, Mme de Thianges, la donatrice, et Mme de La Fayette semblaient lire ensemble. Enfin, séparés de ces divinités par la balustrade, on reconnaissait de simples mortels : Boileau, armé d’une fourche, repoussait hors de « la chambre » une horde de mauvais poètes qui voulaient entrer ; l’auteur de l’Art poétique les renvoyait dans les ténébres. Près de Boileau, Racine et, à l’écart, seul, La Fontaine à qui Racine faisait signe d’approcher: il l’invitait à figurer dans la Chambre du Sublime » (Bussy-Rabutin, Mémoires, date du 12 janvier 1675).

Madame de La Sablière. – « Le peu de soins qu’il eut de ses affaires domestiques l’ayant mis en état d’avoir besoin du secours de ses amis, Madame de La Sablière, dame d’un mérite singulier et de beaucoup d’esprit, le reçut chez elle, où il a demeuré près de vingt ans. » (Charles Perrault).
Sœur d’un ami de Racine et de Boileau, mariée à Antoine de Rambouillet de La Sablière, Marguerite Hessein est l’une des femmes les plus cultivées de son temps, une femme de science à l’esprit extraordinaire. Séparée « de bien et d’habitation » avec son mari qui lui verse une pension, Madame de La Sablière tient salon dans son hôtel de la rue Neuve-des-Petits-Champs. La Fontaine « se donne » à « Iris » et entretient avec elle une relation platonique heureuse :

O vous, Iris, qui savez tout charmer,
Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l’on aime à l’égal de soi-même
(Ceci soit dit sans nul soupçon d’amour;
Car c’est un mot banni de votre cour; (Le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat)

Le poète lui écrit une fable publiée dans le Livre IX dont voici le début :

« Iris, je vous louerais, il n’est que trop aisé ;
Mais vous avez cent fois notre encens refusé,
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles. »

Madame de La Sablière se retire au couvent en 1688, après s’être convertie au catholicisme ; mais elle continue à héberger et à nourrir le poète jusqu’à sa mort en 1693. C’est encore à la belle « Isis » – que La Fontaine dédie son discours lu lors de sa réception à l’Académie française en 1684 :

« Si j’étais sage, Iris (mais c’est un privilège
Que la Nature accorde à bien peu d’entre nous),
Si j’avais un esprit aussi réglé que vous,
Je suivrais vos leçons, au moins en quelque chose :
Les suivre en tout, c’est trop ; il faut qu’on se propose
Un plan moins difficile à bien exécuter.
Un chemin dont sans crime on se puisse écarter.
Ne point errer est chose au-dessus de mes forces ;
Mais aussi, de se prendre à toutes les amorces,
Pour tous les faux brillants courir et s’empresser !
J’entends que l’on me dit : « Quand donc veux-tu cesser ?
Douze lustres et plus ont roulé sur ta vie :
De soixante soleils la course entresuivie
Ne t’a pas vu goûter un moment de repos. »

L’Académie française.- Tout a commencé l’année précédente, à la mort de Colbert qui avait contribué à la chute de Fouquet, raison pour laquelle La Fontaine le détestait :

« Colbert jouissait par avance
De la place de chancelier,
Et sur cela, pour Le Tellier,
On vit génir toute la France
L’un revint, l’autre s’en alla :
Ainsi ce fut scène nouvelle
Car la France sur ce pied-là
Devait bien rire … ainsi fît-elle. »

A 62 ans, La Fontaine décide de briguer le fauteuil n°24 occupé jusqu’alors par Colbert. Historiographe du roi, Boileau oublie leur amitié passée et s’oppose à lui. Une première réunion a lieu le 15 novembre 1683 : « Ils [les scrutateurs] ont trouvé le nom de M. de La Fontaine écrit dans treize de ces billets et ils ont fait un rapport à la compagnie qui a procédé sur lui au premier scrutin selon sa forme ordinaire ». Boileau n’obtient que 7 voix. Le président Rose – secrétaire particulier du roi dont la fonction est d’écrire les lettres de Louis XIV à la place de celui-ci de la même écriture – veut faire échouer l’élection de La Fontaine, considérant que ce serait une honte pour l’Académie d’élire l’auteur des Contes. S’ensuit un échange de jeux de mots entre Rose, favorable à Boileau, et Bensérade qui soutient La Fontaine. Rose tire de sa poche un exemplaire des Contes, le jette sur la table en s’écriant : « Je vois bien, Messieurs, qu’il vous faut un Marot » – jouant sur le nom du poète du XVIe siècle, et sur le mot « maraud » signifiant « misérable, vaurien » – ; Bensérade lui réplique alors : « et à vous, une marotte ». Les Académiciens rient et votent en faveur de La Fontaine qui obtient 16 voix contre 7 voix à Boileau. Mais le vote des Académiciens ne vaut pas élection. « Admis à la proposition », le candidat doit encore être accepté du roi lequel se borne à son célèbre: « je verrai ». A défaut de critiquer Louis XIV, Bensérade écrit contre Rose :

« Prince…
Donne la paix à deux ambitieux (La Fontaine et Boileau)
Dont l’intérêt tout Parnasse divise.
Tu peux, grand roi, mettre l’accord entre eux,
Faisant justice à qui tu l’as promise ; (La Fontaine)
Et puis diras, au demeurant des deux (Boileau)
Un autre fois, puisque la place est prise,
Vous entrerez : Rose a dit « je le veux ».
Roi part pour la campagne de Flandres. La Fontaine écrit une ballade à Sa Majesté :
« Soyez moins rigoureux,
Plus indulgent, plus favorable qu’eux ;
Prince, en un mot, soyez ce que vous êtes :
L’événement ne peut m’être qu’heureux ».

En avril 1684, un nouveau décès survient, celui d’un certain Bezons. Boileau est élu par l’Académie le 17 avril 1684 et Louis XIV accepte La Fontaine : « Le choix qu’on a fait de Despréaux m’est très agréable et ce sera généralement approuvé. Vous pouvez recevoir incessamment La Fontaine ; il a promis d’être sage ».
Au cours de la séance de réception du 2 mai 1684, La Fontaine fait, selon l’usage, l’éloge de son prédécesseur Colbert. L’abbé de La Chambre lui répond : « L’académie reconnaît en vous, Monsieur, un génie aisé, facile, plein de délicatesse et de naïveté, quelque chose d’original, et qui, dans sa simplicité apparente, et sous son air négligé, renferme de grands trésors et de grandes beautés. »

Dernières années.-« Après la mort de Madame de La Sablière, Monsieur d’Hervart, qui aimait beaucoup M. de La Fontaine le pria de venir loger chez lui, ce qu’il fit, et il y est mort au bout de quelques années. » (Charles Perrault).

Le 10 février 1695, La Fontaine adresse une dernière lettre à son ami Maucroix :

« Je t’assure que le meilleur de tes amis n’a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n’est pour aller un peu à l’Académie, afin que cela m’amuse. Hier, comme j’en revenais, il me prit au milieu de rue du Chantre [située entre la rue du Louvre et la rue Saint-Honoré] une si grande faiblesse que je crus véritablement mourir. O mon cher, mourir n’est rien, mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que reçoives ce billet, les portes de l’Éternité seront peut-être ouvertes pour moi ».

« Il mourut à Paris le 13 avril 1695, âgé de soixante-quatorze ans, avec une constance admirable et toute chrétienne. » (Charles Perrault).

Monsieur de La Fontaine était semblable à ces vases simples et sans ornements, qui renferment au-dedans des trésors infinis. Il se négligeait, était toujours habillé très simplement, avait dans le visage un air grossier ; mais cependant dès qu’on le regardait un peu attentivement, on trouvait de l’esprit dans ses yeux ; et une certaine vivacité que l’âge même n’avait pu éteindre, faisait voir qu’il n’était rien moins que ce qu’il paraissait » (Mme Ulrich).

Jean de La Fontaine avait lui-même composé son épitaphe, intitulée Épitaphe d’un paresseux:

« Jean s’en alla comme il était venu
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien le sut dispenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire. »

Sources: La Fontaine, Oeuvres complètes, l’Intégrale, Seuil, 1965; Jean Orieux, La Fontaine, Flammarion, 1976; Charles Perrault, Hommes illustres qui ont paru en France au XVIIe siècle, 1696.

 

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