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Le 12 juillet 1677, Colbert reçoit Louis XIV dans sa belle demeure de Sceaux.

Sceaux

Sceaux au coucher de soleil. ©Le Rat/Soracha.

Le château a été aménagé par Le Brun et les jardins par Le Nôtre. Recevoir le roi-soleil est un exercice périlleux : chacun a en mémoire la réception du roi par Fouquet à Vaux-le-Vicomte et la disgrâce de l’Intendant des finances. Colbert s’en sort admirablement: visite des appartements d’abord où règne la propreté – ce qui est rare à l’époque -, promenade dans les jardins magnifiques où est joué le prologue de l’opéra Hermione de Lully, souper et feu d’artifice, puis représentation de Phèdre de Racine dans l’Orangerie avec des décors de Le Brun.

En sortant, le roi voit toute la population qui l’acclame. Et pour cause, Colbert a pris soin d’annoncer le matin matin qu’il prendra à sa charge la moitié de l’impôt (la Taille) pour l’année.

Louis XIV dit à son ministre qu’il ne s’est jamais autant diverti.

“Une fête somptueuse, sans faste et abondante en toutes choses sans qu’il y eut rien de superflu” (Le Mercure galant, 31 juillet 1677, p. 140-148).

Voici la description de la fête par le Mercure Galant :

« Le roi voulant faire l’honneur à Monsieur Colbert d’y aller voir la belle maison, choisit le jour de cette promenade, et le sage ministre en ayant été averti, se prépara à l’y recevoir en zélé sujet qui attend son maître et un maître comme le roi. Il ne chercha point à faire une de ces fêtes somptueuses dont l’excessive dépense n’attire souvent que le désordre, et qui satisfont plus l’ambition de ceux qui les donnent, qu’elles ne causent de plaisir à ceux pour qui on les fait. La profusion qui s’y trouve semble n’appartenir qu’aux souverains ; et quand on cherche à divertir qu’à faire bruit par le faste, on s’attache moins à ce qui coûte extraordinaire, qu’à ce qui doit paraître agréable. C’est ce que fit Monsieur Colbert avec cette prudence qui accompagne toutes ses actions. Il songea seulement à une réception bien entendu, et il voulut que la propreté, le bon ordre, et la diversité des plaisirs, tinssent lieu de cette somptuosité extraordinaire, qu’il n’eut pu jamais porter assez loin, s’il l’eut voulu proportionner à la grâce que lui faisait le plus grand prince du monde. Cet heureux jour venu, il fit assembler tous les habitants dès le matin, leur apprit le dessin que le roi avait de venir à Sceaux ; et pour augmenter la joie qu’ils lui en firent paraître, et leur donner lieu de garder longtemps le souvenir de l’honneur que Sa Majesté lui faisait, il leur dit qu’ils devaient payer une année de Taille au roi, mais qu’ils songeassent seulement à trouver de quoi satisfaire aux six premiers mois, et qu’il payerait le reste pour eux. Ils se retirèrent fort satisfaits, et se furent préparer à donner des marques publiques de la joie qu’ils avaient de voir le Roi. Ce Prince n’en découvrit pourtant rien aux environs de Sceaux, tout y était tranquille  et l’on n’eut pas même dit en entrant dans la maison de Monsieur Colbert, qu’on y eut fait aucun préparatif pour la réception de leurs majestés. Elles en voulurent voir d’abord les appartements, dont les ornements et les meubles étaient dans cette merveilleuse propreté, qui n’arrête pas moins les yeux que l’extraordinaire magnificence. On se promena ensuite, et ce ne fut pas sans admirer plusieurs endroits particuliers du jardin. La promenade fut interrompue par le divertissement du Prologue de l’opéra d’Hermione, après lequel on acheva de voir les raretés du Jardin. Les plaisirs le rencontrèrent partout :  d’un côté, il y avait des voix, des instruments de l’autre ; et le tout étant court, agréable, donné à propos et sans être attendu, divertissait de plus d’une manière ; point de confusion et toujours nouvelle surprise.

Je ne vous parle point du souper, tout y était digne de celui qui le donnait ; on ne peut rien dire de plus fort pour marquer une extrême propreté, jointe à tout ce que les mets les mieux assaisonnés peuvent avoir de délicatesse. Monsieur Colbert servit le roi et la reine et Monseigneur le Dauphin  fut servi par Monsieur le Marquis de Ségnelay. Leurs Majestés s’étant assises, et auprès d’elles Monseigneur le Dauphin, Mademoiselle d’Orléans, Madame la Grande Duchesse, et Melle de Blois ; le roi fit mettre à table plusieurs dames dont je ne m’engage pas à vous dire les noms selon leur rang. Ces dames furent Melle d’Elbeuf, Madame la duchesse de Richelieu, Madame de Béthune, Mme de Montespan, Mme la Maréchale de Humières, Mme la contesse de Guiche, Mme de Thiange, Mme la marquise de la Ferté, Mme d’Eudicour, Mme Colbert, mmme la duchesse de Devreuse, Mme la contesse de Saint-Aignan, Mme la marquise de Segnelay, et Melle Colbert. Toutes ces dames furent servies par les gens de Monsieur Colbert et le roi n’ayant voulu donner cet ordre à aucun de ses officiers. … Le souper fut suivi d’un feu d’artifice admirable, qui divertit d’autant plus que ce beau lieu étant tout rempli d’échos, le bruit que les bêtes faisaient était redoublé de toutes parts. Ce ne fut pas la seule surprise que causa ce feu, il n’y avait point d’apparence qu’il y en dût avoir dans le lieu où il parut et l’étonnement fut grand lorsqu’on le vit brûler tout à coup et qu’il se fit entendre. Les villages circonvoisins commencèrent alors à donner des marques de leur allégresse, et l’on en vit sortir en même temps un nombre infini de fusées volantes dans toute l’étendue de l’horizon qui peut être vue du château ; de manière qu’on eut dit que le village de Sceaux ne voulait pas seulement témoigner la joie qu’il ressentait de voir un si grand Roi, mais encore que toute la nature voulait contribuer à ses plaisirs.

Le feu fut à peine fini, que toute la Cour entra dans l’Orangerie, où elle fut de nouveau agréablement surprise. Elle trouva dans le même endroit où l’on avait chanté quelques airs de l’opéra, un théâtre magnifique, avec des enfoncements admirables. Il paraissait avoir été mis là par enchantement, à cause du peu de temps qu’on avait eu pour le dresser. Monsieur Le Brun y avait donné ses soins et rien n’y manquait. La Phèdre de Monsieur Racine y fut représentée, et applaudie à son ordinaire. Cette fête parut finie avec la Comédie et Monsieur Colbert eut l’avantage d’entendre dire à Sa Majesté qu’elle ne s’était jamais plus agréablement divertie. A peiene fut-elle hors du château, qu’elle trouva de nouvelles fêtes et vit briller de nouveaux feux. Tout était en joie, on dansait d’un côté, on chantait de l’autre. Les Hautbois se faisaient entendre parmi les cris de Vive le Roi et les violons semblaient servir d’écho à tous ces cris d’allégresse. Jamais on on ne vit de nuit si bien éclairée, tous les arbres étaient chargés de lumières, et les chemins étaient couverts de feuillées. Toutes les paysannes dansaient dessous, elles n’avaient rien oublié de tout ce qui les pouvait rendre propres ; et quantité de bourgeoises qui voulaient prendre part à la fête, s’étaient mêlées avec elles. Ce fut ainsi que Monsieur Colbert divertit le Roi par des surprises agréables et des plaisirs toujours renaissants les uns des autres. Ses ordres furent exécutés avec tant de justesse et tant d’exactitude que tout divertit également dans cette fête et qu’il n’y eut point de confusion. On peut dire qu’elle fut somptueuse sans faste et abondante en toutes choses, sans qu’il y eut rien de superflu.”

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