Elisabeth-Charlotte de Bavière – “Madame Palatine”
Elisabeth-Charlotte von der Pfalz, fille de l’Electeur palatin Karl Ludwig, est née le 27 mai 1652 à Heidelberg. Mariée à Monsieur, en novembre 1671, la « princesse électorale du Rhin » devient Madame, duchesse d’Orléans, belle-sœur de Louis XIV, puis mère du Régent à la mort de Louis XIV en 1715. Liselotte est décédée le 8 décembre 1722 à Saint-Cloud. « Voilà un deuil pour toute l’Europe » (Mathieu Marais, cit. Van der Cruysse).
Scribomane incurable. – « J’écris comme je parle, car je suis trop naturelle pour écrire autrement que je ne pense ». Liselotte est une épistolière polyglotte boulimique : elle a écrit plus de 60.000 lettres (Mme de Sévigné en comparaison en a écrit 1200 environ), dont 1/10e seulement est conservé, principalement en allemand (2/3) et en français (1/3), mais aussi en anglais et en néerlandais. Elle correspondait avec les cours royales de Prusse, d’Angleterre, de Suède, du Danemark, d’Espagne et de Sicile, avec la plupart des cours princières allemandes et les cours ducales de Lorraine, de Savoie et de Modène (Van der Cruysse).
Enfance allemande. – Liselotte passe sa petite enfance – jusqu’à 7 ans – au château d’Heidelberg entre sa mère Charlotte, répudiée par son père, et sa belle-mère, Louise von Dagenfeld, adorée par son père : « j’ai acheté deux perroquets que je vous envoie par bateau. Gardez-en un pour vous et envoyez celui qui vous plaît le moins à Liselotte. Adieu, mon ange ! » (lettre de Karl Ludwig à Louise von Dagenfeld du 25 avril 1658). Envoyée chez sa tante Sophie à la Cour de Hanovre en 1659, elle revient au Palatinat en 1663 où elle demeure jusqu’à son mariage en 1671.
Une princesse fort peu jolie. – « Ma taille est monstrueuse d’épaisseur ; je suis carrée comme un dé à jouer. Ma peau est d’un rouge tacheté de jaune : je commence à grisonner, et mes cheveux sont poivre et sel ; mon front et mes yeux sont tout ridés, mon nez toujours aussi de travers et par-dessus le marché tout brodé de la petite vérole ainsi que mes deux joues plates. J’ai un double menton, les dents gâtées, la bouche un peu endommagée, plus grande et plus ridée ; vous jugez de ma jolie figure » (Liselotte par elle-même).
Même jeune, Liselotte n’a jamais été jolie et elle n’est pas pressée de se marier. « Les bons ménages sont très rares, mais j’en ai vu beaucoup qui s’étaient mariés par pur amour et qui se sont haïs ensuite comme le diable, et qui se haïssent encore. Heureux qui n’est pas marié. Que j’eusse été contente si on avait voulu me permettre de mener une bonne vie de célibataire et de ne pas me marier » (Lettre à Louise, 28 décembre 1719). « Si j’étais restée mon propre maître, je ne me serais pas mariée » (Lettre à Louise, 20 juin 1720). Ainsi, à 19 ans, Liselotte n’est pas encore mariée.
« Les mariages sont faits au Ciel » (Lettre à Louise, 25 avril 1705). – A la mort d’Henriette d’Angleterre en 1670, Louis XIV cherche aussitôt à donner à son frère une nouvelle épouse. Anne de Gonzague, veuve du prince palatin Eduard, frère cadet de Karl Ludwig, propose une de ses nièces, Elisabeth-Charlotte, petite fille de Frédéric V, éphémère roi de Bohême, et arrière-petite-fille de Jacques Ier d’Angleterre, sans oublier les perspectives politiques ouvertes par la proximité du Palatinat pour la France. La question de la religion se pose car la jeune fille est protestante mais elle est résolue par une conversion de la princesse au catholicisme (J. Bély). Anne de Gonzague écrit à son frère Karl Ludwig le 10 octobre 1671 : « L’on prépare au Palais-Royal un appartement magnifique pour Madame, et toute sa maison est déjà réglée. […] Elle trouvera tout prêt et magnifique et sera très heureuse, s’il plaît à Dieu… »
En épousant Monsieur, frère du Roi, Elisabeth-Charlotte devient, après la Reine, la seconde dame du royaume.
Première rencontre avec Louis XIV. – Le 28 novembre 1671, Louis XIV arrive à Villers-Cotterêts où Monsieur et Madame passent la lune de miel en assistant à des fêtes somptueuses. Le soir, le roi dîne en tête à tête avec les époux dans le cabinet de Madame. « Il en revint si charmé, que c’était la femme qui avait le plus d’esprit, d’agrément, qui dansait bien, enfin que feu Madame n’était rien auprès ; tout ce qui était avec lui était de même » (Mlle de Montpensier, Mémoires, II, p. 347).
Présentation à la Cour. « Elle arriva avec un habit de brocart d’argent, parée plus que lorsqu’elle vit Monsieur, car il dit qu’il ne l’avait pas trouvée telle la première fois. Il faisait froid ; elle n’avait mis de masque. Elle avait mangé des grenades qui lui avaient fait devenir les lèvres violettes. Quand l’on vient d’Allemagne, on n’a pas l’air français. Elle nous parut fort bien, et Monsieur ne la trouve pas telle et fut un peu étonné. Mais quand elle eut pris l’air de France, ce fut une autre chose » (Mlle de Montpensier, Mémoires, II, p. 347).
« Comme j’arrivai la première fois à la cour de Saint-Germain, notre feu Roi vint aussitôt à moi, au château-neuf où Monsieur et moi logions, et il m’amena le Dauphin qui était alors un enfant de dix ans. Dès qu’on m’eut habillée, le Roi repartit au château-vieux où il m’accueillit dans la salle des gardes. Comme il me conduisit à la Reine, il me chuchota à l’oreille : « N’en ayez pas peur, Madame, elle aura plus de peur de vous que vous d’elle ». Le Roi était si prévenant, il ne voulait pas me quitter. Il s’assit à côté de moi, et chaque fois que je devais me lever pour un duc ou prince qui entrait dans la pièce, il me donna discrètement un petit coup dans les côtes » (Lettre à Caroline de Galles, 1er décembre 1719).
En faveur auprès des courtisans. « Je dois dire que le Roi me témoigne encore chaque jour plus de faveur, car il m’adresse la parole partout où il me rencontre, et m’envoie chercher tous les samedis pour faire medianoche avec lui chez Mme de Montespan. Cela fait que je suis actuellement très à la mode, car tout ce que je dis ou fais, que ce soit bien ou de travers, est admiré des courtisans. A tel point que, m’étant avisée par ce temps froid de mettre ma vieille zibeline pour avoir plus chaud au cou, chacun s’en fait faire une sur ce modèle, et c’est maintenant la très grande vogue. Cela me fait bien rire, car ces mêmes gens, qui admirent à présent cette mode et la portent eux-mêmes, sont précisément ceux qui se moquaient si fort de moi il y a cinq ans, et se gaussaient tant de ma zibeline, que depuis ce temps je n’avais plus osé la mettre. Ainsi vont les choses dans cette Cour ; quand les courtisans s’imaginent que vous êtes en faveur, vous pouvez faire ce que vous voulez, et être sûr d’être approuvé. Mais en revanche, s’ils s’imaginent le contraire, ils vous ridiculiseront, quand même vous descendriez du ciel » (Lettre à Sophie, 14 décembre 1676).
Une passion pour la chasse. A la demande de Louis XIV, Liselotte est assidue à la chasse lors de ses premières années à Versailles. « Je vais chasser avec le Roi tous les deux jours, et très souvent deux ou trois jours d’affilée. Nous ne chassons pas moins ici qu’à Fontainebleau. La passion de la chasse au cerf a maintenant repris notre Roi. J’en suis vraiment heureuse […] car j’aime la chasse autant que Sa Majesté. Voilà un véritable plaisir pour un garçon manqué comme moi, car à la chasse on ne doit pas se parer et mettre du rouge comme au bal » (Lettre à Sophie, 4 novembre 1677). « Vous savez que c’est une Amazone à cheval et qu’il est peu d’hommes qui aient plus de vigueur qu’elle dans cet exercice » (Mercure galant, juin 1680).
« Un esprit de bon goût » (Mme de La Fayette). Liselotte partage avec le Roi-Soleil un amour du théâtre et de l’opéra. « Il y a tous les soirs des bals, des comédies et des mascarades à Saint-Germain. Le Roi a une application à divertir Madame, qu’il n’a jamais eu pour l’autre » (Mme de Sévigné, 13 janvier 1672). « Quand je suis venue en France, j’y ai vu des gens comme on n’en retrouvera plus dans beaucoup de siècles. C’étaient Lully, pour la musique ; Beauchamp, pour les ballets ; Corneille et Racine, pour la tragédie ; Molière, pour la comédie ; la Chamelle et la Beauval, actrices ; Baron, Lafleur, Torilière et Guérin, acteurs. Tous ces gens ont excellé dans leur genre […] Tout ce qu’on voit et entend maintenant n’approche pas de ceux-là » (cit. Dirk Van der Cruysse).
Maternité. Madame tombe enceinte à l’automne 1672. « Quelle contrainte espagnole pour un garçon manqué de ne plus pouvoir courir et sauter, de se voir même interdire les promenades en carrosses, et d’être toujours portée en chaise. Et encore si c’était bientôt terminé, on en prendrait son parti ; mais que cela doive durer ainsi pendant neuf mois entiers, voilà une situation affreuse … Et quand cet œuf sera enfin éclos, je voudrais pouvoir vous l’envoyer par la poste à Osnabrück, car vous êtes plus experte en cet art que toutes celles qui sont dans ce pays, et je suis convaincue par ma propre expérience qu’il sera soigné comme il faut. Ici, aucun enfant n’est en sécurité, puisque les médecins ont déjà expédié cinq enfants de la Reine dans l’autre monde. Le dernier est mort il y a trois semaines. Monsieur dit lui-même que trois des siens furent expédiés de même » (Lettre à Anna Katarina von Harling, 23 novembre 1672). Cet enfant, baptisé le 10 avril 1674, meurt brutalement dans la nuit du 15 au 16 mars 1676.
Philippe, duc de Chartres, futur Régent. Vers la Toussaint de 1673, Madame entre dans une nouvelle grossesse : « Quant à l’autre petit turbulent qui est maintenant à mi-chemin, il me rend très indisposée, car je suis tous les jours après les repas malade comme un chien, à tel point que pendant deux heures je ne sais que faire » (Lettre à Mme von Harling, 19 mars 1674). Le 2 août 1674, Madame met au monde un second garçon, titré en naissant duc de Chartres, baptisé Philippe le 5 octobre 1676.
Elisabeth-Charlotte, Mademoiselle de Chartres. A la fin de l’année 1675, Liselotte est enceinte une troisième fois. « Mes garçons vont très bien, Dieu merci, mais le poupon que je porte à présent m’incommode plus que ses deux aînés » (Lettre à Anna Katarina von Harling, 22 février 1676). Le 13 septembre 1676, naît une petite fille, titrée Mademoiselle de Chartres, baptisée Elisabeth-Charlotte en même temps que son frère, le 5 octobre 1676.
« Je n’ai jamais aimé la corvée de l’accouchement » (Lettre à Caroline de Galles, 11 juin 1717). « J’étais bien aise quand feu Monsieur, sitôt après la naissance de ma fille, a fait lit à part, car je n’ai jamais aimé la corvée de faire des enfants. Quand Sa Dilection me le proposa, je répondis : Oui de bon cœur, Monsieur, j’en serai très contente pourvu que vous ne me haïssiez pas, et que vous continuiez à avoir un peu de bonté pour moi. Il me le promit, et nous étions tous deux très contents l’un de l’autre » (Lettre à Caroline de Galles, 18 octobre 1720).
Sources : Dirk Van der Cruysse, Madame Palatine, Fayard, 1988. Dictionnaire Louis XIV, sous la direction de Lucien Bély, Robert Laffont, 2015. N. Milovanic, La princesse Palatine protectrice des animaux, Perrin, 2012. Dirk Van der Cruysse, Madame Palatine, Fayard, 1988. Visuels : Wikimedia Commons