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Nous avions vu au cinéma en novembre dernier le film « La Mort de Louis XIV » d’Albert Serra. Extraordinaire ! Jean-Pierre Léaud nous donne à voir la « bonne mort » de Louis XIV. Le film vient de sortir en DVD et nous vous en recommandons l’achat.                          « D’emblée, je veux dire qu’il faut foncer voir ce film ventre à terre parce qu’il va devenir culte ! Il n’y a rien d’autre à dire. Ventre à terre » (J.-P. Léaud, Interview Paris-Match, du 5/11/2016).

Bat et Le Rat ont suggéré que je vous fasse une chronique historique, jugée plus utile pour suivre le film. Agréable lecture.

Rappel historique. – Le XVIIe siècle a mis en scène la mort : mourir devient un art. Les manuels de piété expliquent technique et méthode pour « apprendre à mourir ». Le mourant doit respecter trois obligations : mettre ses affaires en ordre par son testament, recevoir avec dévotion les derniers sacrements, résister aux dernières tentations. Plus que leurs sujets, les rois doivent être impérativement des exemples de « bonne mort » : la chronique de leur mort, rapportée et transmise à la postérité, doit rendre compte de l’héroïcité du comportement royal face à la mort. Trois vertus sont particulièrement mises en avant : la souffrance, la piété et le souci des devoirs de l’État.

« Le soleil se couche ». – Il ne pouvait en être autrement « pour le plus grand roi du monde », qui se souvenait peut-être des derniers instants de son père, Louis XIII, dont la « bonne mort » avait été amplement rapportée. La maladie de Louis XIV et les derniers instants du roi ont été publiés par le Mercure, supplément du mois d’octobre 1715, et racontés par les contemporains du roi dans leurs Mémoires, chacun y ajoutant sa propre sensibilité : ainsi, le marquis de Dangeau, Saint-Simon, le baron Louis-Nicolas de Breteuil, maître des cérémonies, les frères Anthoine, porte-arquebuses du roi, l’abbé de Choisy, madame de Caylus, madame d’Aumale, Madame Palatine dans ses Lettres

Début de maladie. – Le 9 août 1715, « le Roi courut le cerf après dîner [déjeuner] avec sa calèche, qu’il mena lui-même à l’ordinaire pour la dernière fois de sa vie, et parut très abattu au retour. [Il revint à Marly] sur les six heures du soir, pour la dernière fois de sa vie et ne revoir jamais cet étrange ouvrage de ses mains » (Saint-Simon). C’est le lendemain, samedi 10 août que Louis XIV, âgé de 75 ans, se plaint d’une douleur à la jambe gauche. Le soir, le roi quitte Marly pour Versailles. « Le dimanche 11 août, il tint le conseil d’Etat, s’alla promener à Trianon, pour ne plus sortir de sa vie » (Saint-Simon).

Un diagnostic erroné. – Le 12 août, Guy-Crescent Fagon, premier médecin du roi depuis 1693, du même âge que le souverain, attribue la douleur à la jambe à une sciatique. « Il se prévenait très aisément en toutes choses, quoique fort éclairé, et une fois prévenu, il ne revenait presque jamais » (Saint-Simon). « Le roi eût gagné plusieurs années de vie s’il n’avait pas été purgé par Fagon si souvent et … jusqu’à la selle rouge » (Madame Palatine). Bien que son état s’aggrave, le roi n’interrompt pas ses activités ; il se fait porter dans un fauteuil d’un lieu à l’autre. Les nuits sont difficiles : le roi souffre et a une soif impossible à satisfaire. Fagon est troublé : « il fut résolu au coucher du Roi que M. le premier médecin coucherait dans la chambre du Roi avec M. de Champcenetz, premier valet de chambre de quartier, et que MM. Boudin, médecin ordinaire, Mareschal, premier chirurgien, et Biot, apothicaire, coucheraient dans le cabinet avec les sieurs Anthoine et Bazire, garçons de la chambre, pour être plus à portée de servir S.M. en cas de besoin » (Anthoine).

Des médecins dépassés. – Le 19 août, Mareschal découvre une noirceur au pied qui commence à faire penser à la gangrène. Louis XIV ne sort plus de son appartement : il reste étendu, se fait masser la jambe avec des baumes à base de plantes, qui est ensuite bandée de linges. Ces bandages empêchent le roi de se vêtir : il ne quitte plus sa robe de chambre. Le 21 août, le roi accepte une consultation collective de quatre docteurs de la faculté de médecine de Paris, qui confirment le diagnostic de Fagon : la sciatique. Ils prescrivent des purges. Les médecins lui donnent à boire du quinquina mélangé d’eau et du lait d’ânesse pour faire tomber la fièvre.

Une longue agonie. – Le 24 août, on s’aperçoit que la jambe du roi est noire, jusqu’au pied. Les médecins doivent admettre que la gangrène s’attaque à la jambe. Le 25 août, jour de la Saint-Louis, les traditions sont maintenues : les tambours et les hautbois jouent sous la fenêtre du roi à son réveil, et les vingt-quatre violons pendant son dîner (notre déjeuner) qu’il souhaite prendre en public : « j’ai vécu parmi les gens de ma cour ; je veux mourir parmi eux. Ils ont suivi tout le cours de ma vie ; il est juste qu’ils me voient finir » (Dangeau). A sept heures, le roi perd conscience et réclame le viatique et l’extrême-onction. « Je sors du plus grand, du plus touchant et du plus héroïque spectacle que les hommes puissent jamais voir » (Dangeau).

La journée des adieux. – Le 26 août, « sur les dix heures, on a pansé la jambe du roi, dans laquelle on lui a donné plusieurs coups de lancette et fait incisions jusqu’à l’os ; et comme on a trouvé que la gangrène gagnait jusque-là, il n’y a plus eu lieu de douter… » (Dangeau). Louis XIV reçoit dans sa chambre son arrière-petit-fils le Dauphin (le futur Louis XV âgé de 5 ans) : « Mignon, vous allez être un grand roi, mais tout votre bonheur dépendra d’être soumis à Dieu et du soin que vous aurez de soulager vos peuples. Il faut, pour cela, que vous évitiez autant que vous le pourrez, de faire la guerre. C’est la ruine des peuples ; ne suivez pas le mauvais exemple que je vous ai donné en cela. J’ai souvent entrepris la guerre trop légèrement et l’ai soutenue par vanité ; ne m’imitez pas, mais soyez un prince pacifique et que votre principale application soit de soulager vos sujets… » (Dangeau). Il tient aussi un discours aux gens de cour et gens de service puis prend congé des dames. Le lendemain, Louis XIV fait brûler des papiers qui se trouvent dans ses cassettes, en présence de Madame de Maintenon. Le roi ne donne aucune instruction pour ses funérailles, si ce n’est de transporter son cœur dans l’église des Jésuites auprès de celui de son père.

Un Provençal charlatan nommé Brun. – Le 27 à onze heures, se présente à Versailles un homme venu de Marseille qui apporte un élixir prétendu souverain contre la gangrène. Les médecins du roi acceptent de donner de cet élixir « fait avec le corps d’un animal », atrocement puant et mettent dix gouttes dans trois cuillères de vin d’Alicante ; ils le font boire au roi qui ne refuse pas. Médecins et courtisans se disputent pour savoir s’il faut continuer à en donner au roi. Le duc d’Orléans décide de continuer ce traitement et accepte même de faire entrer Brun dans la chambre du roi, au milieu des représentants de la Faculté.

Derniers moments. – Le 28 août, Louis XIV dit adieu à Madame de Maintenon qui se retire à Saint-Cyr. Le lendemain, le roi la fait mander ; la marquise revient. « Le vendredi 30 août, Madame de Maintenon s’en est allée à cinq heures à Saint-Cyr pour n’en revenir jamais » (Dangeau). « Le 31, le roi a été sans connaissance toute la journée. Il a pris comme hier, de la gelée, et quelques verres d’eau ». Le dimanche 1er septembre, « le roi est mort ce matin à huit heures un quart et demi et il a rendu l’âme sans aucun effort, comme une chandelle qui s’éteint » (baron Louis-Nicolas de Breteuil).

« On ne saurait mourir avec une fermeté et une résolution plus grandes que S.M. Huit jours durant il a vu la mort en face, sans montrer la moindre frayeur ; il était aussi calme que s’il allait simplement entreprendre un voyage à Fontainebleau. Je trouve que Sa Majesté a été plus grande dans la mort que dans la vie » (Lettre de Madame Palatine à Leibnitz, 26 septembre 1715).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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