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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°25 – La querelle des Chiens et des Chats et celle des Chats et des Souris

La querelle des Chiens et des Chats et celles des Chats et des Souris

La Discorde a toujours régné dans l’Univers ;

Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette Déesse a plus d’un Tributaire.
Commençons par les Eléments :
Vous serez étonnés de voir qu’à tous moments
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,
Combien d’êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !

Autrefois un logis plein de Chiens et de Chats,

Par cent Arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.
Le Maître ayant réglé leurs emplois, leurs Repas,
Et menacé du fouet quiconque aurait querelle,
Ces animaux vivaient entr’eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Édifiait tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,

Quelque os par préférence à quelqu’un d’eux donné,
Fit que l’autre parti s’en vint tout forcené
Représenter un tel outrage.
J’ai vu des chroniqueurs attribuer le cas
Aux passe-droits qu’avait une chienne en gésine.
Quoi qu’il en soit, cet altercas
Mit en combustion la salle et la cuisine ;
Chacun se déclara pour son Chat, pour son Chien.

On fit un Règlement dont les Chats se plaignirent,

Et tout le quartier étourdirent.
Leur Avocat disait qu’il fallait bel et bien
Recourir aux Arrêts. En vain ils les cherchèrent.
Dans un coin où d’abord leurs Agents les cachèrent,
Les Souris enfin les mangèrent.
Autre procès nouveau : Le peuple Souriquois
En pâtit. Maint vieux Chat, fin, subtil, et narquois,
Et d’ailleurs en voulant à toute cette race,
Les guetta, les prit, fit main basse
Le Maître du logis ne s’en trouva que mieux.

J’en reviens à mon dire. On ne voit, sous les Cieux

Nul animal, nul être, aucune Créature,
Qui n’ait son opposé : c’est la loi de Nature.
D’en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’en sais pas plus.
Ce que je sais, c’est qu’aux grosses paroles
On en vient sur un rien, plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudrait encore à soixante ans
Renvoyer chez les Barbacoles.

 

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 8

La querelle des chiens et de chats et celle des chats et des souris. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°19 – Le vieux chat et la jeune souris

Le vieux chat et la jeune souris

Le vieux chat et la jeune souris. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

Une jeune Souris, de peu d’expérience,

Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence,
Et payant de raisons le Raminagrobis :
« Laissez-moi vivre : une souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?

Affamerais-je, à votre avis,

L’hôte et l’hôtesse, et tout leur monde ?
D’un grain de blé je me nourris :
Une noix me rend toute ronde.
À présent je suis maigre ; attendez quelque temps :
Réservez ce repas à messieurs vos enfants. »

Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.

L’autre lui dit : « Tu t’es trompée :
Est-ce à moi que l’on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner ? cela n’arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,
Meurs, et va-t’en, tout de ce pas,
Haranguer les soeurs filandières* :
Mes enfants trouveront assez d’autres repas. »

Il tint parole. Et pour ma fable

Voici le sens moral qui peut y convenir :
La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable.
 

Jean de La Fontaine, Fables, Livre XII, 5

 
* Les soeurs filandières : les Parques. Dans la mythologie romaine, les trois déesses Clotho, Lachésis, Atropos président à la destinée des hommes en filant, en dévidant et en coupant le fil de la vie.

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965