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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°59 – La Lionne et l’Ourse

La Lionne et l’Ourse

Mère Lionne avait perdu son fan.

Un chasseur l’avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que toute la Forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la Reine des bois n’arrêtait les vacarmes
Nul animal n’était du sommeil visité.

L’Ourse enfin lui dit : Ma commère,

Un mot sans plus ; tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N’avaient-ils ni père ni mère ?
– Ils en avaient. – S’il est ainsi,
Et qu’aucun de leur mort n’ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?

– Moi me taire ! moi, malheureuse !

Ah j’ai perdu mon fils ! Il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
– Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
– Hélas ! c’est le Destin qui me hait. Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s’adresse à vous :
Je n’entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas se croit haï des Cieux,
Qu’il considère Hécube, il rendra grâce aux Dieux.

Jean de La Fontaine Livre X, fable 12

La lionne et l’ourse. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°58 – Le Lion, le Singe et les deux Anes

Le Lion, le Singe et les deux Anes

Le Lion, pour bien gouverner,

Voulant apprendre la morale,
Se fit, un beau jour, amener
Le Singe, maître ès arts chez la gent animale.
La première leçon que donna le régent
Fut celle-ci : « Grand Roi, pour régner sagement,
Il faut que tout prince préfère
Le zèle de l’État à certain mouvement
Qu’on appelle communément
Amour propre ; car c’est le père,
C’est l’auteur de tous les défauts
Que l’on remarque aux animaux.

Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,

Ce n’est pas chose si petite
Qu’on en vienne à bout en un jour :
C’est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là votre personnage auguste
N’admettra jamais rien en soi
De ridicule ni d’injuste
– Donne-moi, repartit le Roi,
Des exemples de l’un et l’autre.

– Toute espèce, dit le docteur,

Et je commence par la nôtre,
Toute profession s’estime dans son coeur,
Traite les autres d’ignorantes,
Les qualifie impertinentes,
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L’amour-propre, au rebours, fait qu’au degré suprême
On porte ses pareils ; car c’est un bon moyen
De s’élever aussi soi-même.

De tout ce que dessus j’argumente très bien

Qu’ici-bas maint talent n’est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.
L’autre jour, suivant à la trace
Deux Ânes qui, prenant tour à tour l’encensoir
Se louaient tour à tour, comme c’est la manière,
J’ouïs que l’un des deux disait à son confrère :
« Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot
L’homme, cet animal si parfait ? Il profane
Notre auguste nom, traitant d’âne
Quiconque est ignorant, d’esprit lourd, idiot.

Il abuse encore d’un mot,

Et traite notre rire et nos discours de braire.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous ; non, non ; c’est à vous de parler,
À leurs orateurs de se taire :
Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens :
Vous m’entendez, je vous entends ;
Il suffit. Et quant aux merveilles
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle est, au prix, novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert. » L’autre baudet repart :
Seigneur, j’admire en vous des qualités pareilles. »

Ces Ânes, non contents de s’être ainsi grattés,

S’en allèrent dans les cités
L’un l’autre se prôner : chacun d’eux croyait faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l’honneur en reviendrait sur lui.
J’en connais beaucoup aujourd’hui,
Non parmi les baudets, mais parmi les puissances
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeraient entre eux les simples excellences,
S’ils osaient, en des majestés.

J’en dis peut-être plus qu’il ne faut, et suppose

Que Votre Majesté gardera le secret.
Elle avait souhaité d’apprendre quelque trait
Qui lui fit voir, entre autre chose,
L’amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L’injuste aura son tour : il y faut plus de temps. »
Ainsi parla ce Singe. On ne m’a pas su dire
S’il traita l’autre point, car il est délicat ;
Et notre maître ès arts, qui n’était pas un fat,
Regardait ce Lion comme un terrible Sire.

Jean de La Fontaine Livre XI, fable 5

Le lion le singe et les deux ânes. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°57 – Le Lion, le Loup et le Renard

Le Lion, le Loup et le Renard

Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,

Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.

Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi

Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère,
Ne m’ait à mépris imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage ;
Et m’acquittais d’un vœu fait pour votre santé.

Même j’ai vu dans mon voyage

Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite :
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.

Messire Loup vous servira,

S’il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa ;
Et de sa peau s’enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.

Jean de La Fontaine Livre VIII, fable 3

Le lion le loup et le renard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°56 – Le Lion malade et le Renard

Le lion malade et le renard

le lion malade et le renard

Le lion malade et le renard,fable illustrée par J.-B. Oudry, Dessaint et Saillant, 1755, gallica.bnf.fr/BnF

De par le Roi des animaux,

Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter ;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de Lion, très bien écrite :
Bon passeport contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L’édit du prince s’exécute :
De chaque espèce on lui députe.

Les Renards gardant la maison,

Un d’eux en dit cette raison :
« Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s’en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour :
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passeport.
 

Je le crois bon : mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l’on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. »

Jean de La Fontaine, Fables, Livre VI, 14

Source : La Fontaine, œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965