Le Lion et le Moucheron
C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie. »
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette* et le héros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un moucheron.
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte* montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Jean de La Fontaine Livre II, fable 9
* Parodie d’un vers de Malherbe contre Concini: “Va-t-en à la malheure, excrément de la terre”.
* Faîte : partie la plus haute de quelque chose; sommet.
* Le trompette : le musicien qui joue de la trompette.
Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965