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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°12 – La grenouille et le rat

La grenouille et le rat

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,

Qui souvent s’engeigne soi-même.
J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui :
Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris,
Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême,
Sur le bord d’un marais égayait ses esprits.

Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue :

Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain :
Il n’était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.

Un point sans plus tenait le galand empêché :

Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brinc de jonc en fit l’affaire.
Dans le marais entrés, notre bonne commère
S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge-chaude et curée ;
(C’était, à son avis, un excellent morceau).

Déjà dans son esprit la galande le croque.

Il atteste les Dieux ; la perfide s’en moque.
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan qui dans l’air planait, faisait la ronde,
Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde.
Il fond dessus, l’enlève, et, par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut ; tant et si bien,
Que de cette double proie
L’oiseau se donne au coeur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.

Jean de La Fontaine, Livre IV, 11

La grenouille et le rat. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

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Un spectacle : “Franck Ferrand” au Théâtre Antoine

Bat, Le Rat et Pompona sont allés voir Franck Ferrand au Théâtre Antoine. Le Rat vous raconte.

Franck Ferrand au Théâtre Antoine

Quand Pompona fait sa Précieuse Ridicule, je tiens la plume ! Pour résumer la soirée, je dirais que l’homme est habile, le spectacle efficace et notre plaisir certain.

Franck Ferrand n’est pas un débutant. En Histoire, il s’y connaît. Titulaire d’un DEA, chroniqueur de l’émission « au cœur de l’histoire », il sait de quoi il parle. « Ma vision de l’histoire », c’est de raconter « la grande et la petite histoire », de montrer que l’histoire n’est jamais écrite une fois pour toute, mais qu’elle évolue au rythme des connaissances des historiens.

Taquin le Ferrand ? Faire tirer les sujets développés à des spectateurs permet à Franck Ferrand de citer les autres sujets qui auraient pu être traités, mais qui ne le seront pas. Troie, Mayerling, Marco Polo, Jeanne d’Arc se trouvent ainsi écartés au profit d’Alexandre Ier le grand, petit-fils de la grande Catherine, mort le 19 novembre 1825. Où l’on apprend qu’Alexandre Ier ne serait peut-être mort à cette date …

En guise d’interlude, Ferrand nous raconte qu’enfant, il jouait avec sa cousine Denise à Louis XIV et à Marie-Thérèse entourés de la cour. Quand d’autres se sont vu présidents de la République, pourquoi pas ? Et de rappeler aux spectateurs Colombo et ses enquêtes. Comme dirait ma femme …

Comment les choses se sont-elles passées ? Evidemment on n’y était pas ! Seconde histoire : le sujet sanguinolent. Nouvelle main du public pour tirer le nouveau sujet. Nous avons raté Henri IV, Jack l’éventreur, Zola, Voltaire. Pour nous, « Saint-Leu ». Alors là, silence dans la salle. Saint-Leu ? Kesako ? C’est l’énigme de la mort du dernier prince de Condé le 27 août 1830. Je ne vous en dis pas plus, mais l’histoire mérite d’être contée et Ferrand le fait fort bien.

Dernier sujet : l’affaire dans l’affaire Dreyfus, où le rôle d’Esterhazy, l’auteur du bordereau à l’origine de la condamnation du capitaine Dreyfus. Disons-le clairement : pas la meilleure partie. Pour Bat, à vouloir une vision plus originale, Ferrand aurait dû raconter le rôle de Lucie Dreyfus, une femme admirable qui force l’admiration. Quant à Pompona, elle nous invite à lire ou relire Vincent Duclert, Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote, Fayard, 2006 et Ecris-moi souvent, écris-moi longtemps, la bouleversante correspondance croisée de Lucie et d’Alfred Dreyfus.

Vous l’avez compris : un bon début de soirée – le spectacle est à 19h00 – que vous pouvez prolonger par un dîner festif. Idéal pour cette période de fêtes de fin d’année.

Informations pratiques : Théâtre Antoine

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°11 – La chatte métamorphosée en femme

La chatte métamorphosée en femme

Un homme chérissait éperdument sa Chatte ;

Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d’un ton fort doux.
Il était plus fou que les fous.
Cet Homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu’il obtient du destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.

Le voilà fou d’amour extrême,

De fou qu’il était d’amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l’amadoue, elle le flatte ;
Il n’y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l’erreur jusqu’au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.

Aussitôt la femme est sur pieds :

Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, femme d’être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point :
Car ayant changé de figure,
Les souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli :
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.

En vain de son train ordinaire

On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu’on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d’étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n’en serez les maîtres.
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

Jean de La Fontaine, Livre II, 18

La chatte métamorphosée en femme. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°10 – Le chat et un vieux rat

Le chat et un vieux rat

J’ai lu chez un conteur de Fables,

Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des Chats,
L’Attila, le fléau des Rats,
Rendait ces derniers misérables :
J’ai lu, dis-je, en certain Auteur,
Que ce Chat exterminateur,
Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde :
Il voulait de Souris dépeupler tout le monde.

Les planches qu’on suspend sur un léger appui,

La mort aux Rats, les Souricières,
N’étaient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les Souris étaient prisonnières,
Qu’elles n’osaient sortir, qu’il avait beau chercher,
Le galant fait le mort, et du haut d’un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate
A de certains cordons se tenait par la patte.

Le peuple des Souris croit que c’est châtiment,

Qu’il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu’un, causé quelque dommage,
Enfin qu’on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l’air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.
“Nous en savons plus d’un, dit-il en les gobant :
C’est tour de vieille guerre ; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis. ”

Il prophétisait vrai : notre maître Mitis

Pour la seconde fois les trompe et les affine,
Blanchit sa robe et s’enfarine,
Et de la sorte déguisé,
Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :
La gent trotte-menu s’en vient chercher sa perte.

Un Rat, sans plus, s’abstient d’aller flairer autour :

C’était un vieux routier, il savait plus d’un tour ;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
“Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S’écria-t-il de loin au Général des Chats.
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d’être farine ;
Car, quand tu serais sac, je n’approcherais pas.

C’était bien dit à lui ; j’approuve sa prudence :

Il était expérimenté,
Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.

Jean de La Fontaine, Livre III, 18

Le chat et un vieux rat. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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La Gazette de Soracha – n°16 – Elisabeth-Charlotte de Bavière , “Madame Palatine”

Elisabeth-Charlotte de Bavière – “Madame Palatine”

Elisabeth-Charlotte de Bavière, d’après Nicolas Largillière.

Elisabeth-Charlotte von der Pfalz, fille de l’Electeur palatin Karl Ludwig, est née le 27 mai 1652 à Heidelberg. Mariée à Monsieur, en novembre 1671, la « princesse électorale du Rhin » devient Madame, duchesse d’Orléans, belle-sœur de Louis XIV, puis mère du Régent à la mort de Louis XIV en 1715. Liselotte est décédée le 8 décembre 1722 à Saint-Cloud. « Voilà un deuil pour toute l’Europe » (Mathieu Marais, cit. Van der Cruysse).

Scribomane incurable. – « J’écris comme je parle, car je suis trop naturelle pour écrire autrement que je ne pense ». Liselotte est une épistolière polyglotte boulimique : elle a écrit plus de 60.000 lettres (Mme de Sévigné en comparaison en a écrit 1200 environ), dont 1/10e seulement est conservé, principalement en allemand (2/3) et en français (1/3), mais aussi en anglais et en néerlandais. Elle correspondait avec les cours royales de Prusse, d’Angleterre, de Suède, du Danemark, d’Espagne et de Sicile, avec la plupart des cours princières allemandes et les cours ducales de Lorraine, de Savoie et de Modène (Van der Cruysse).

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°9 – Le chat, la belette et le petit lapin

Le chat, la belette et le petit lapin

 

Du palais d’un jeune Lapin

Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.

Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,

Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l’animal chassé du paternel logis :
O là, Madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.

La Dame au nez pointu répondit que la terre

Etait au premier occupant.
C’était un beau sujet de guerre
Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l’octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.

Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.

Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
– Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.

C’était un chat vivant comme un dévot ermite,

Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,

Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportants aux Rois.

Jean de La Fontaine, Livre VII, 15

Le chat, la belette et le petit lapin. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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Emile Verhaeren – “Décembre”

“Décembre” d’Emile Verhaeren

– Ouvrez, les gens, ouvrez la porte,
je frappe au seuil et à l’auvent,
ouvrez, les gens, je suis le vent,
qui s’habille de feuilles mortes.

– Entrez, monsieur, entrez, le vent,
voici pour vous la cheminée
et sa niche badigeonnée ;
entrez chez nous, monsieur le vent.

– Ouvrez, les gens, je suis la pluie,
je suis la veuve en robe grise
dont la trame s’indéfinise,
dans un brouillard couleur de suie.

– Entrez, la veuve, entrez chez nous,
entrez, la froide et la livide,
les lézardes du mur humide
s’ouvrent pour vous loger chez nous.

– Levez, les gens, la barre en fer,
ouvrez, les gens, je suis la neige,
mon manteau blanc se désagrège
sur les routes du vieil hiver.

– Entrez, la neige, entrez, la dame,
avec vos pétales de lys
et semez-les par le taudis
jusque dans l’âtre où vit la flamme.

Car nous sommes les gens inquiétants
qui habitent le Nord des régions désertes,
qui vous aimons – dites, depuis quels temps ? –
pour les peines que nous avons par vous souffertes.

Emile Verhaeren

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°8 – Le singe et le chat

Le singe et le chat

 

Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,

Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.

Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté

Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.

Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui

Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.

Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,

D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient : adieu mes gens. Raton

N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.

Jean de La Fontaine, Livre IX, 17

Le chat et le singe. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°7 – Le chat et le renard

Le Chat et le Renard

Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,

S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais Tartufs, deux archipatelins,
Deux francs Patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.

Le chemin était long, et partant ennuyeux,

Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.

Le Renard au Chat dit enfin :

Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre : je n’ai qu’un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu’il en vaut mille.
Eux de recommencer la dispute à l’envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.

Le Chat dit au Renard : Fouille en ton sac, ami :

Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.
À ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.

Partout il tenta des asiles,

Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un Terrier, deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.
Le trop d’expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Jean de La Fontaine Livre IX, 14

Le chat et le renard. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°6 – Le chat et les deux moineaux

Le chat et les deux moineaux

 

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,

Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau:
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.

Ce dernier toutefois épargnait son ami.

Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.

Le Passereau, moins circonspect,

Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.

Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,

Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.

Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle

D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?

Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

Jean de La Fontaine Livre XII, 2

Le chat et les deux moineaux. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF