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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°26 – La Belette entrée dans un grenier

La Belette entrée dans un grenier

Damoiselle Belette, au corps long et flouet,

Entra dans un Grenier par un trou fort étroit :
Elle sortait de maladie.
Là, vivant à discrétion,
La galante fit chère lie,
Mangea, rongea : Dieu sait la vie,
Et le lard qui périt en cette occasion !

La voilà, pour conclusion,

Grasse, mafflue et rebondie.
Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s’être méprise
Après avoir fait quelques tours,
“C’est, dit-elle, l’endroit : me voilà bien surprise ;
J’ai passé par ici depuis cinq ou six jours. ”

Un Rat, qui la voyait en peine,

Lui dit : “Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l’on le dit à bien d’autres ;
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres. ”

Jean de La Fontaine Livre III, fable 17

La belette entrée dans un grenier. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Gérard de Nerval – “Avril”

“Avril” de Gérard de Nerval

Déjà les beaux jours, – la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; –
Et rien de vert : – à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
– Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de Nerval, Odelettes

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°25 – La querelle des Chiens et des Chats et celle des Chats et des Souris

La querelle des Chiens et des Chats et celles des Chats et des Souris

La Discorde a toujours régné dans l’Univers ;

Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette Déesse a plus d’un Tributaire.
Commençons par les Eléments :
Vous serez étonnés de voir qu’à tous moments
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,
Combien d’êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !

Autrefois un logis plein de Chiens et de Chats,

Par cent Arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.
Le Maître ayant réglé leurs emplois, leurs Repas,
Et menacé du fouet quiconque aurait querelle,
Ces animaux vivaient entr’eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Édifiait tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,

Quelque os par préférence à quelqu’un d’eux donné,
Fit que l’autre parti s’en vint tout forcené
Représenter un tel outrage.
J’ai vu des chroniqueurs attribuer le cas
Aux passe-droits qu’avait une chienne en gésine.
Quoi qu’il en soit, cet altercas
Mit en combustion la salle et la cuisine ;
Chacun se déclara pour son Chat, pour son Chien.

On fit un Règlement dont les Chats se plaignirent,

Et tout le quartier étourdirent.
Leur Avocat disait qu’il fallait bel et bien
Recourir aux Arrêts. En vain ils les cherchèrent.
Dans un coin où d’abord leurs Agents les cachèrent,
Les Souris enfin les mangèrent.
Autre procès nouveau : Le peuple Souriquois
En pâtit. Maint vieux Chat, fin, subtil, et narquois,
Et d’ailleurs en voulant à toute cette race,
Les guetta, les prit, fit main basse
Le Maître du logis ne s’en trouva que mieux.

J’en reviens à mon dire. On ne voit, sous les Cieux

Nul animal, nul être, aucune Créature,
Qui n’ait son opposé : c’est la loi de Nature.
D’en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce qu’il fit, et je n’en sais pas plus.
Ce que je sais, c’est qu’aux grosses paroles
On en vient sur un rien, plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudrait encore à soixante ans
Renvoyer chez les Barbacoles.

 

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 8

La querelle des chiens et de chats et celle des chats et des souris. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°24 – La Souris métamorphosée en fille

La Souris métamorphosée en fille

Une Souris tomba du bec d’un Chat-Huant :

Je ne l’eusse pas ramassée ;
Mais un Bramin le fit ; je le crois aisément :
Chaque pays a sa pensée.
La Souris était fort froissée :
De cette sorte de prochain
Nous nous soucions peu : mais le peuple bramin
Le traite en frère ; ils ont en tête
Que notre âme au sortir d’un Roi,
Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu’il plaît au Sort. C’est là l’un des points de leur loi.

Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement le Bramin crut bien faire
De prier un Sorcier qu’il logeât la Souris
Dans un corps qu’elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille
De l’âge de quinze ans, et telle, et si gentille,
Que le fils de Priam pour elle aurait tenté
Plus encor qu’il ne fit pour la grecque beauté.
Le Bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :
Vous n’avez qu’à choisir ; car chacun est jaloux
De l’honneur d’être votre époux.

– En ce cas je donne, dit-elle,

Ma voix au plus puissant de tous.
– Soleil, s’écria lors le Bramin à genoux,
C’est toi qui seras notre gendre.
– Non, dit-il, ce nuage épais
Est plus puissant que moi, puisqu’il cache mes traits ;
Je vous conseille de le prendre.
– Et bien, dit le Bramin au nuage volant,
Es-tu né pour ma fille ? – Hélas non ; car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée ;
Je n’entreprendrai point sur les droits de Borée.

Le Bramin fâché s’écria :

O vent donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle.
Il accourait : un mont en chemin l’arrêta.
L’éteuf passant à celui-là,
Il le renvoie, et dit : J’aurais une querelle
Avec le Rat ; et l’offenser
Ce serait être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de Rat, la Damoiselle
Ouvrit l’oreille ; il fut l’époux.
Un Rat ! un Rat ; c’est de ces coups
Qu’Amour fait, témoin telle et telle :
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette Fable

Prouve assez bien ce point : mais à la voir de près,
Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits :
Car quel époux n’est point au Soleil préférable
En s’y prenant ainsi ? Dirai-je qu’un géant
Est moins fort qu’une puce ? elle le mord pourtant.
Le Rat devait aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,
Pilpay jusqu’au Soleil eût enfin remonté ;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.

Revenons, s’il se peut, à la métempsycose :

Le sorcier du Bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le Bramin même :
Car il faut, selon son système,
Que l’homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :
Toutes sont donc de même trempe ;
Mais agissant diversement
Selon l’organe seulement
L’une s’élève, et l’autre rampe.

D’où vient donc que ce corps si bien organisé

Ne put obliger son hôtesse
De s’unir au Soleil, un Rat eut sa tendresse ?
Tout débattu, tout bien pesé,
Les âmes des souris et les âmes des belles
Sont très différentes entre elles.
Il en faut revenir toujours à son destin,
C’est-à-dire, à la loi par le Ciel établie.
Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.

Jean de La Fontaine Livre IX, fable 7

La souris métamorphosée en fille. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°23 – Les Souris et le Chat huant

Les Souris et le Chat huant

Il ne faut jamais dire aux gens :

« Écoutez un bon mot, oyez une merveille. »
Savez-vous si les écoutants
En feront une estime à la vôtre pareille ?
Voici pourtant un cas qui peut être excepté :
Je le maintiens prodige et tel que d’une fable
Il a l’air et les traits encore que véritable.

On abattit un pin pour son antiquité,

Vieux palais d’un Hibou, triste et sombre retraite
De l’oiseau qu’Atropos prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux et miné par le temps,
Logeaient, entre autres habitants,
Force Souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L’oiseau les nourrissait parmi des tas de blé,
Et de son bec avait leur troupeau mutilé.

Cet oiseau raisonnait, il faut qu’on le confesse.

En son temps, aux Souris le compagnon chassa :
Les premières qu’il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia
Tout ce qu’il prit ensuite ; et leurs jambes coupées
Firent qu’il les mangeait à sa commodité,
Aujourd’hui l’une et demain l’autre.

Tout manger à la fois, l’impossibilité

S’y trouvait, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance allait aussi loin que la nôtre :
Elle allait jusqu’à leur porter
Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu’un Cartésien s’obstine
À traiter ce Hibou de montre et de machine !

Quel ressort lui pouvait donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue ?
Si ce n’est pas là raisonner,
La raison m’est chose inconnue.
Voyez que d’arguments il fit :
« Quand ce peuple est pris, il s’enfuit ;
Donc il faut le croquer aussitôt qu’on le happe.

Tout ? il est impossible. Et puis, pour le besoin

N’en dois-je pas garder ? Donc il faut avoir soin
De le nourrir sans qu’il échappe.
Mais comment ? Ôtons-lui les pieds. » Or, trouvez-moi
Chose par les humains à sa fin mieux conduite.
Quel autre art de penser Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi ?

Jean de La Fontaine Livre XI, 9

Les souris et le chat-huant. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°22 – La Chauve-souris, le Buisson et le Canard

La Chauve-souris, le Buisson et le Canard

Le Buisson, le Canard, et la Chauve-Souris,

Voyant tous trois qu’en leur pays
Ils faisaient petite fortune,
Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avaient des comptoirs, des facteurs, des agents
Non moins soigneux qu’intelligents,
Des registres exacts de mise et de recette.

Tout allait bien, quand leur emplette,

En passant par certains endroits
Remplis d’écueils et fort étroits,
Et de trajet très difficile,
Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.

Notre trio poussa maint regret inutile ;

Ou plutôt il n’en poussa point :
Le plus petit marchand est savant sur ce point.
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avaient soufferte
Ne put se réparer : le cas fut découvert.

Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource,

Prêts à porter le bonnet vert.
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.
Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les sergents, et les procès,
Et le créancier à la porte,
Dès devant la pointe du jour
N’occupaient le trio qu’à chercher maint détour
Pour contenter cette cohorte.

Le Buisson accrochait les passants à tous coups.

« Messieurs, leur disait-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises
Que certains gouffres nous ont prises. »
Le Plongeon sous les eaux s’en allait les chercher.
L’oiseau Chauve-souris n’osait plus approcher
Pendant le jour nulle demeure :
Suivi de sergents à toute heure,
En des trous il s’allait cacher.

Je connais maint detteur qui n’est ni souris-chauve,

Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.

Jean de La Fontaine Livre XII, 7

La chauve-souris, le buisson et le canard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Maurice Carême – “Mars”

“Mars” de Maurice Carême

Il tombe encore des grêlons,
Mais on sait bien que c’est pour rire.
Quand les nuages se déchirent,
Le ciel écume de rayons.

Le vent caresse les bourgeons
Si longuement qu’il les fait luire.
Il tombe encore des grêlons,
Mais on sait bien que c’est pour rire.

Les fauvettes et les pinsons
Ont tant de choses à se dire
Que dans les jardins en délire
On oublie les premiers bourdons.
Il tombe encore des grêlons …

Maurice Carême, La lanterne magique 1947

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°21 – La chauve-souris et les deux Belettes

La chauve-souris et les deux Belettes

Une Chauve-Souris donna tête baissée

Dans un nid de Belette ; et sitôt qu’elle y fut,
L’autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.

“Quoi ? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,

Après que votre race a tâché de me nuire!
N’êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction.
Oui, vous l’êtes, ou bien je ne suis pas Belette.

– Pardonnez-moi, dit la pauvrette,

Ce n’est pas ma profession.
Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l’Auteur de l’Univers,
Je suis Oiseau ; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs! ”
Sa raison plut, et sembla bonne.

Elle fait si bien qu’on lui donne

Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer
Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie.

La voilà derechef en danger de sa vie.

La Dame du logis avec son long museau
S’en allait la croquer en qualité d’Oiseau,
Quand elle protesta qu’on lui faisait outrage :
“Moi, pour telle passer! Vous n’y regardez pas.

Qui fait l’Oiseau ? c’est le plumage.

Je suis Souris : vivent les Rats !
Jupiter confonde les Chats ! ”
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpe changeants

Aux dangers, ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue.
Le Sage dit, selon les gens :
“Vive le Roi, vive la Ligue. ”

Jean de La Fontaine Livre II, 5 

La chauve-souris et les deux belettes. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°20 – Conseil tenu par les rats

Conseil tenu par les rats 

Un Chat, nommé Rodilardus

Faisait des Rats telle déconfiture
Que l’on n’en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.

Le peu qu’il en restait, n’osant quitter son trou,

Ne trouvait à manger que le quart de son sou,
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.

Or un jour qu’au haut et au loin

Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa Dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l’abord, leur Doyen, personne fort prudente,

Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiraient en terre ;
Qu’il n’y savait que ce moyen.

Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen,

Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : « Je n’y vas point, je ne suis pas si sot »;
L’autre : « Je ne saurais. »Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ai maints Chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,
Voire chapitres de Chanoines.

Ne faut-il que délibérer,

La Cour en Conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.

Jean de La Fontaine Livre II, 2

Le conseil tenu par les rats. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°19 – Le vieux chat et la jeune souris

Le vieux chat et la jeune souris

Le vieux chat et la jeune souris. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

Une jeune Souris, de peu d’expérience,

Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence,
Et payant de raisons le Raminagrobis :
« Laissez-moi vivre : une souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?

Affamerais-je, à votre avis,

L’hôte et l’hôtesse, et tout leur monde ?
D’un grain de blé je me nourris :
Une noix me rend toute ronde.
À présent je suis maigre ; attendez quelque temps :
Réservez ce repas à messieurs vos enfants. »

Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.

L’autre lui dit : « Tu t’es trompée :
Est-ce à moi que l’on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner ? cela n’arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,
Meurs, et va-t’en, tout de ce pas,
Haranguer les soeurs filandières* :
Mes enfants trouveront assez d’autres repas. »

Il tint parole. Et pour ma fable

Voici le sens moral qui peut y convenir :
La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable.
 

Jean de La Fontaine, Fables, Livre XII, 5

 
* Les soeurs filandières : les Parques. Dans la mythologie romaine, les trois déesses Clotho, Lachésis, Atropos président à la destinée des hommes en filant, en dévidant et en coupant le fil de la vie.

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965