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Hommage à Howard Phillips Lovecraft,
décédé le 15 mars 1937

Azathoth

camélias rouges

Camélias rouges. ©LeRat/Soracha

Quand la vieillesse s’abattit sur le monde et que l’émerveillement disparu de l’esprit des hommes, quand les cités grises érigèrent dans les cieux enfumés de hautes tours sinistres et laides, à l’ombre desquelles il n’était plus possible de rêver au soleil ou aux prairies fleuries du printemps, quand la science dépouilla la terre de son manteau de beauté et que les poètes cessèrent de hanter autre chose que des fantômes déformés par leurs regards brouillés et tournés seulement vers l’intérieur, quand, donc, toutes ces choses furent arrivées, et que les désirs enfantins s’effacèrent à tout jamais des mémoires, il se trouva un homme pour effectuer un voyage hors de cette existence et partir dans l’espace, à la recherche de nos anciens rêves. On sait peu de chose du nom et de l’endroit où vécut cet homme. On sait cependant qu’il était de naissance obscure. Il habitait une cité aux murs élevés, où régnait en permanence un stérile crépuscule, et dans laquelle il travaillait chaque jour dans l’ombre et le vacarme. A la fin de sa journée de labeur, il rentrait le soir dans une pièce dont la fenêtre unique donnait non sur des prés et des bois, mais sur une sombre courette, où s’ouvraient également, dans le désespoir et l’ennui, d’autres fenêtres. De sa chambre, le panorama n’offrait aux regards que des murs et d’autres fenêtres. Et il fallait se pencher pour apercevoir, dans le ciel, les petites étoiles. Et parce que ne voir constamment que des murs et des fenêtres peut rendre fou un être intelligent et rêveur, l’habitant de cette pièce avait pris l’habitude, nuit après nuit, de scruter le ciel au-dessus de lui, dans l’espoir d’y trouver autre chose que ce qui existait dans le monde éveillé et dans la grisaille des hautes villes. Au bout de quelques années, il appelait les étoiles par leur nom et les suivait en imagination lorsqu’elles disparaissaient, comme à regret, de sa vue. Puis il parvint à découvrir des choses mystérieuses en fixant le ciel. Enfin, une nuit, un pont fut jeté au-dessus du gouffre profond qui séparait ces deux univers : les cieux chargés de rêves vinrent se mêler à l’air confiné de la pièce et enveloppèrent l’homme dans leur fabuleuse fantasmagorie.

Les violentes lueurs violettes de minuit, toutes scintillantes de leur poussière d’or, entrèrent alors dans la chambre. Puis il y eut des tornades de sable et de feu sorties d’espaces infinis, lourdes de parfums venus de l’au-delà. Des océans opiacés s’y déversèrent, éclairés par des soleils qu’aucun regard n’avait jamais contemplés, et portant dans leurs vagues des nymphes aquatiques et d’étranges dauphins venus des profondeurs insondables. L’Infini tourbillonna silencieusement autour du rêveur et l’emporta sans même effleurer son corps penché à la fenêtre. Et pendant des jours ignorés du calendrier des hommes, les vagues et les courants des sphères lointaines le portèrent doucement au royaume des rêves vers lesquels tout son être aspirait. Les rêves que les hommes avaient perdus. Enfin, après qu’il se fut écoulé de nombreux cycles, ils l’abandonnèrent avec tendresse, endormi, sur le vert rivage d’un lever de soleil. Un vert rivage aux parfums de lotus et parsemé de camélias rouges.

Howard Phillips Lovecraft, tome 1, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, p. 46-47. D’après la traduction de Paule Pérez. © Éditions Belfond.

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