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Un spectacle : “le Ballet royal de la nuit” à l’Opéra royal du Château de Versailles

Une soirée inoubliable !

Bat, Le Rat et Pompona sont allés voir Le Ballet royal de la nuit à l’Opéra royal du Château de Versailles et ont adoré. Bat vous raconte.


Ballet royal de la nuit

Sean Patrick Mombruno incarnant le jeune Louis en heure. Ballet royal de la nuit – © Ph. Delval

23 février 1653.- Cette nuit, le roi danse. La foule se presse pour entrer dans la salle de l’hôtel du Petit-Bourbon, situe parallèlement à la Seine, entre le Louvre et l’église Saint-Germain l’Auxerrois. C’est la plus grande salle de Paris (36 x 16 m), la plus majestueuse avec ses hautes voûtes semées de fleurs de lys, ses colonnes, ses corniches. Elle sert aux grands divertissements de la cour, accueille les grands événements publics liés à la politique royale. Les peintures, sculptures et tapisseries ainsi que les 1200 flambeaux de cire blanche portés par des consoles et des bras d’argent donnent à la salle une clarté perpétuelle. Le jour ne finira jamais.

La première.- Anne d’Autriche, mère du roi Louis XIV, et Mazarin sont installés à l’un des bouts de la salle sous le dais royal tandis que je flotte au milieu des 2500 à 3000 personnes installées sur les gradins tout autour de la salle. Quelle cohue ! Toute la cour, une bonne partie de la bourgeoisie de Paris, probablement bon nombre d’ambassadeurs et autres résidents étrangers se bousculent pour entrer. Le jour de la première du Ballet de la nuit si attendu est enfin arrivé. Le ballet va durer toute la nuit et, à l’aube, un grand bal sera offert par le roi aux gentilshommes et aux dames de la cour. 7 autres représentations vont être données les 25, 27 février, 2, 4, 6 et 16 mars.

Le ballet de cour.- C’est probablement à la fin du règne de Charles IX avec le Ballet des Polonais en 1573 si ma mémoire est bonne que j’ai assisté au premier ballet du genre. Je me souviens du roi Henri IV dansant le Ballet comique de la reine en 1581, puis des ballets que l’on dansait à l’époque du carnaval sous la régence de Marie de Médicis. Louis XIII aussi aimait beaucoup danser. Une année, quelques années avant la naissance du jeune Louis, sans doute en 1635, il avait même composé, chorégraphié et dansé le Ballet de la Merlaison. J’ai toujours adoré ces ballets de cour, dansés par les courtisans et les membres de la famille royale à côté de danseurs professionnels.

« Ballet du roi ».- C’est dire s’il est d’usage que le roi se donne en spectacle et brille parmi les courtisans et les danseurs professionnels lorsque Louis XIV monte sur le trône. Mais le jeune Louis les surpasse tous. C’est au cours du carnaval de 1651 que je l’ai vu danser pour la première fois ; il avait 13 ans et a interprété plus de six rôles dans le Ballet de Cassandre. C’est un danseur virtuose ; il s’entraîne plusieurs heures par jour. Glissades, jetés-battus, fouettés, entrechat, le jeune roi est extraordinaire. Il faut dire qu’il a appris très jeune à danser avec Henry Prévost et Jean Regnault et qu’il a encore les meilleurs maîtres de danse, Beauchamp notamment dont vous avez sans doute entendu parler. Savez-vous que Louis XIV a dansé 23 ballets, interprété 60 rôles ? Au fil des ans, le ballet de cour est devenu le ballet du roi : les courtisans se sont retirés et le roi est resté seul en scène. Le roi-soleil et ses satellites : le marquis de Villeroy, le comte de Saint-Aignan, le comte d’Armagnac et le Marquis de Rassan. Je me souviens encore du 14 février 1670. Ce jour-là, à la fin de la seconde représentation des Amants magnifiques de Molière et de Jean-Baptiste Lully, le roi s’est fait remplacer par Villeroy et d’Armagnac. Il a 32 ans et cesse définitivement de danser.

Livret.- Penchée sur l’épaule d’un fort bel homme, je lis le livret : la musique a été composée par Jean de Cambefort, Jean-Baptiste Boësset, Michel Lambert. Baptiste est déjà arrivé à Paris, il danse cette nuit, mais il n’est pas encore au sommet de sa gloire. Baptiste ? Vous ne savez pas qui est Baptiste ? Oh pardon ! Baptiste n’est autre que Lully, bien sûr ! Les textes sont d’Isaac de Benserade, un poète de cour très apprécié. Giacomo Torelli a inventé toutes les machineries et Louis Hesselin a réalisé de superbes costumes. Le ballet a été conçu par M. Clément, l’intendant de la Maison du duc de Nemours. Entre le crépuscule et l’aurore, 6 heures de ballet avec 260 personnes qui participent dont 96 noms de danseurs, tous des hommes. A côté du roi, Monsieur son frère, leur cousin le duc d’York, 23 nobles, 36 personnalités appartenant au milieu de la cour parmi lesquelles Alexandre Bontemps, premier Valet de chambre du roi, Cabou, avocat au conseil et des artistes de renom tel le portraitiste Henri de Beaubrun. Enfin 59 professionnels et baladins de métier, parmi lesquels le luthiste Louis de Mollier, les maîtres à danser François Verpé, Beauchamps, Regnault, futurs membres de l’Académie royale de danse, créée en 1661.

Louis XIV en soleil

Louis XIV en soleil. Ballet royal de la nuit.
©BNF

Mais que raconte le ballet ?

Un mélange de romans de chevalerie, de symboles, d’emblèmes et d’allégories, d’éléments tirés de la fable et de la mythologie, mais aussi des références à la Fronde, enfin terminée, et aux espoirs tournés vers l’avenir, à la gloire du jeune Louis. Le ballet est composé de 4 parties – quatre « veilles », chacune introduite par le récit chanté d’une ou plusieurs figures divines ou allégoriques, suivi d’entrées de ballets – 43 au total -, mélange de sérieux et de grotesque, où les références à la vie quotidienne alternent avec les scènes peuplées d’êtres fantastiques. Le spectacle se termine avec le Grand ballet et l’entrée du roi en soleil: l’aurore se retire voyant arriver le Soleil suivi des Génies qui lui rendent hommage.

25 novembre 2017.– La foule se presse pour entrer dans la salle de l’opéra royal du Château de Versailles. Quelle excitation ! Ce soir, il nous est donné à voir l’un des spectacles les plus marquants du règne de Louis XIV.

Comment transposer le Ballet royal de la nuit en ce début de XXIe siècle ? « Quelle chance incroyable que vivre cette aventure pour des musiciens d’aujourd’hui, passionnés de musique française du XVIIe siècle ! » nous dit Sébastien Daucé dans sa note d’intention. Certes, mais la partition du Ballet, copiée en 1690 par Philidor Laisné, n’a jamais été achevée et seule la partie du premier violon a été retranscrite. Sébastien Daucé a donc dû se livrer à un travail de recomposition musicale conséquent. « Je me suis accroché ! » dit-il. Pour notre plus grand bonheur. Un enregistrement musical avec son Ensemble Correspondances est sorti chez Harmonia Mundi en 2015. Voilà pour le « donner à entendre ».

Restait le « donner à voir ». – L’entreprise a été confiée à Francesca Lattuada, qui s’est fait assister d’Olivier Charpentier et de Bruno Fatalot pour les costumes. D’emblée, Francesca Lattuada a exclu toute reconstitution historique. « On ne rencontre ce genre de projet qu’une seule fois dans sa vie, voire pas du tout. Le ballet royal de la nuit est une œuvre si dense, si foisonnante, qu’il faut accepter de s’y perdre » écrit-elle. Et de poursuivre : « Le style en est la démesure, la surabondance, la prolifération … La première scène installe le mode interprétatif par quoi il est suggéré qu’on ne peut, en aucun cas, se fier aux seules apparences : ce qui semble inanimé peut se mouvoir, tout être est sujet à métamorphose, à révélation et dévoilement, au sens spectaculaire du terme. […] Ce spectacle, c’est une invitation. Venez voir ce que, ensemble, nous sommes capables de faire. Ce spectacle est une fête pour les yeux ».

“Et bien, divertissez-vous maintenant ».- Voici la Nuit qui s’avance, perchée au sommet d’une immense jupe, ceinturée dans un haut de brocard ; sur la tête, une immense perruque entourée d’une collerette blanche étincelante. De cette extraordinaire costume machine, sort souvent une marionnette mue par des ombres (les manipulateurs tout en noir) reproduction de la Nuit. Place à la féérie : chanteuse et marionnette vont alors reproduire les mêmes gestes chacune à son niveau. Le ton est donné ; la magie opère.

Place à la fantaisie, au merveilleux, au rêve.- Défilent ainsi devant nos yeux, tantôt amusés, tantôt fascinés, le plus souvent subjugués, le lapin lunaire, les Coquettes, Janus et son cheval, les Néréides, Ptolémée et Zoroastre, grands astrologues … Voici la première entrée du jeune Louis en justaucorps noir, collants et bottes rouges montantes, collerette blanche, incarné par Sean Patrick Mombruno. Magnifique danseur au corps sculptural, l’homme ne laisse pas indifférent. Selon Francesca Luattuana, il incarne « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » (Le Cid, Corneille).

Le spectacle continue.-Chanteurs qui dansent, danseurs qui chantent, acrobates qui jonglent avec toutes sortes d’objets lumineux : voici la féérie du Carnaval reconstituée … Qui est qui ? Le spectateur assiste à un défilé de personnages, tantôt imaginaires, tantôt mythologiques, parfois simplement humains. Magnificence de costumes extraordinaires, perruques incroyables, jeux de couleur des décors incroyables.

3e veille, au cœur de la nuit.-Les heures les plus sombres. Voici le Sabbat qui laisse échapper des monstres nains, danse de Satan puis des 4 vieilles sorcières, suivies des loups garous. Les humains, cachés derrière leurs loups de velours, errent. Le jeune Louis revient en ardent, puis en curieux : féérie de la danse. Avant de clore le Ballet en roi-soleil.

Un magnifique spectacle qui se joue à Dijon les 2, 3 et 5 décembre prochains. Courez-y!

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°8 – Le singe et le chat

Le singe et le chat

 

Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,

Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.

Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté

Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.

Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui

Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.

Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,

D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient : adieu mes gens. Raton

N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.

Jean de La Fontaine, Livre IX, 17

Le chat et le singe. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°7 – Le chat et le renard

Le Chat et le Renard

Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,

S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais Tartufs, deux archipatelins,
Deux francs Patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.

Le chemin était long, et partant ennuyeux,

Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.

Le Renard au Chat dit enfin :

Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre : je n’ai qu’un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu’il en vaut mille.
Eux de recommencer la dispute à l’envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.

Le Chat dit au Renard : Fouille en ton sac, ami :

Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.
À ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.

Partout il tenta des asiles,

Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un Terrier, deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.
Le trop d’expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Jean de La Fontaine Livre IX, 14

Le chat et le renard. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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La Gazette de Soracha – n°15 – Madeleine de Scudéry

Madeleine de Scudéry est née le 15 novembre 1607 au Havre. C’était il y a 410 ans !

Madeleine de Scudéry, Ecole française, Bibliotheque Municipale, Le Havre.

“L’amour est un je-ne-sais-quoi, qui vient je-ne-sais-où et qui finit je-ne-sais-quand”.

Résumé. – Madeleine de Scudéry est une grande dame de la littérature française du XVIIe siècle, auteur du Grand Cyrus et de Clélie, deux best-sellers à l’époque. « La reine des précieuses », « nouvel oracle de la galanterie » (évêque Antoine Godeau), « institutrice des mœurs » (Sainte-Beuve), Madeleine de Scudéry est l’une des premières femmes de lettres modernes. Décrite comme « l’Universelle » par ses contemporains italiens, admirée par La Fontaine et par Leibniz, Madeleine de Scudéry n’est nullement « une femme sottement savante » comme les caricature Molière dans Les Précieuses ridicules (1659) et Les Femmes savantes (1672).

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°6 – Le chat et les deux moineaux

Le chat et les deux moineaux

 

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,

Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau:
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.

Ce dernier toutefois épargnait son ami.

Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.

Le Passereau, moins circonspect,

Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.

Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,

Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.

Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle

D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?

Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

Jean de La Fontaine Livre XII, 2

Le chat et les deux moineaux. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°5 – Le chat et le rat

Le chat et le rat

Le chat et le rat. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage,

Triste-oiseau le Hibou, Ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,
Toutes gens d’esprit scélérat,
Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage.

Tant y furent, qu’un soir à l’entour de ce pin

L’homme tendit ses rets*. Le Chat de grand matin
Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie
Le filet ; il y tombe, en danger de mourir ;
Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,
L’un plein de désespoir, et l’autre plein de joie.
Il voyait dans les lacs* son mortel ennemi.

Le pauvre Chat dit : Cher ami,

Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit :
Viens m’aider à sortir du piège où l’ignorance
M’a fait tomber. C’est à bon droit
Que seul entre les tiens par amour singulière
Je t’ai toujours choyé, t’aimant comme mes yeux.
Je n’en ai point regret, et j’en rends grâce aux Dieux.

J’allais leur faire ma prière ;

Comme tout dévot Chat en use les matins.
Ce réseau* me retient : ma vie est en tes mains :
Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense
En aurai-je ? reprit le Rat.
Je jure éternelle alliance
Avec toi, repartit le Chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance :

Envers et contre tous je te protégerai,
Et la Belette mangerai
Avec l’époux de la Chouette.
Ils t’en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot !
Moi ton libérateur ? Je ne suis pas si sot.
Puis il s’en va vers sa retraite.
La Belette était près du trou.

Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou :

Dangers de toutes parts ; le plus pressant l’emporte.
Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte
Qu’il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu’il dégage enfin l’hypocrite.
L’homme paraît en cet instant.
Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui se tenait à l’erte* et sur ses gardes.

Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin*

Me fait injure ; tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j’aie oublié
Qu’après Dieu je te dois la vie ?
Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j’oublie
Ton naturel ? Aucun traité
Peut-il forcer un Chat à la reconnaissance ?
S’assure-t-on sur l’alliance
Qu’a faite la nécessité ?
 

Jean de La Fontaine, Fables, Livre VIII, 22

 
* Rets : filets
* Lacs : nœuds coulants
* Réseau : filet pour attraper les oiseaux.
* Se tenir à l’erte : être au guet.
* Soin : préoccupation.
 

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965