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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°90 – L’Eléphant et le Singe

L’Eléphant et le Singe de Jupiter

Autrefois l’Eléphant et le Rhinocéros,

En dispute du pas et des droits de l’Empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.
Le jour en était pris, quand quelqu’un vint leur dire
Que le Singe de Jupiter,
Portant un Caducée, avait paru dans l’air.
Ce Singe avait nom Gille, à ce que dit l’Histoire.
Aussitôt l’Eléphant de croire
Qu’en qualité d’Ambassadeur
Il venait trouver sa Grandeur.

Tout fier de ce sujet de gloire,

Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent
A lui présenter sa créance.
Maître Gille enfin, en passant,
Va saluer son Excellence.
L’autre était préparé sur la légation ;
Mais pas un mot : l’attention
Qu’il croyait que les Dieux eussent à sa querelle
N’agitait pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu’importe à ceux du Firmament
Qu’on soit Mouche ou bien Eléphant ?

Il se vit donc réduit à commencer lui-même :

Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un assez beau combat, de son Trône suprême.
Toute sa Cour verra beau jeu.
– Quel combat ? dit le Singe avec un front sévère.
L’Eléphant repartit : Quoi ! vous ne savez pas
Que le Rhinocéros me dispute le pas ;
Qu’Eléphantide a guerre avecque Rhinocère ?
Vous connaissez ces lieux, ils ont quelque renom.

– Vraiment je suis ravi d’en apprendre le nom,

Repartit Maître Gille : on ne s’entretient guère
De semblables sujets dans nos vastes Lambris.
L’Eléphant, honteux et surpris,
Lui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?
– Partager un brin d’herbe entre quelques Fourmis :
Nous avons soin de tout. Et quant à votre affaire,
On n’en dit rien encor dans le conseil des Dieux :
Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 21

Gravure L'éléphant et le singe

L’éléphant et le singe de jupiter. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°85 – La besace

La besace

Jupiter dit un jour : “Que tout ce qui respire

S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Etes-vous satisfait? – Moi ? dit-il, pourquoi non ?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?

Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;

Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. ”
L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort
Glosa sur l’Eléphant, dit qu’on pourrait encore
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une masse informe et sans beauté.
L’Eléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles.

Il jugea qu’à son appétit

Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste, contents d’eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :

On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.

Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

Jean de La Fontaine Livre I, fable 7

Gravure La besace

La besace. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°2 – Le Rat et l’Eléphant

Le Rat et l’Eléphant

Se croire un personnage est fort commun en France:

On y fait l’homme d’importance,
Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois.
C’est proprement le mal français:

La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière :

Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre
Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un Rat des plus petits voyait un Éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent

De la bête de haut parage,
Qui marchait à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage
Une sultane de renom,
Son Chien, son Chat et sa Guenon,
Son Perroquet, sa Vieille et toute sa maison,
S’en allait en pèlerinage.
Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse :

« Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants !
Mais qu’admirez-vous tant en lui, vous autres hommes ?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D’un grain moins que les éléphants. »

Il en aurait dit davantage ;
Mais le Chat, sortant de sa cage,
Lui fit voir en moins d’un instant
Qu’un rat n’est pas un éléphant.

Jean de La Fontaine Livre VIII, 15

Le rat et l’éléphant. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF