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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°103 – La colombe et la fourmi

La colombe et la fourmi

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :

On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi
Tant la chose en preuves abonde.

Le lion et le rat : lire.

L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.

Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe.
Quand sur l’eau se penchant une fourmis y tombe;
Et dans cet océan l’on eût vu la fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.

La colombe aussitôt usa de charité:

Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve; et là-dessus
Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce croquant par hasard avait une arbalète.
Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête;
La fourmis le pique au talon.
Le vilain retourne la tête.
La colombe l’entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s’envole;
Point de pigeon pour une obole.

Jean de La Fontaine Livre II, fable 12

La colombe et la fourmi

La colombe et la fourmi. J.-B. Oudry Source : Gallica.bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°102 – La mouche et la fourmi

La mouche et la fourmi

La mouche et la fourmi contestaient de leur prix.

“O Jupiter! dit la première.
Faut-il que l’amour propre aveugle les esprits
D’une si terrible manière,
Qu’un vil et rampant animal
A la fille de l’air ose se dire égal?

Je hante les palais; je m’assieds à ta table:

Si l’on t’immole un bœuf, j’en goûte devant toi;
Pendant que celle-ci, chétive et misérable,
Vit trois jours d’un fétu qu’elle a traîné chez soi.

Mais ma mignonne, dites-moi,

Vous campez-vous jamais sur la tête d’un roi,
D’un empereur, ou d’une belle?
Je le fais; et je baise un beau sein quand je veux;
Je me joue entre des cheveux;
Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle;
Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement des mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête
De vos greniers. – Avez-vous dit?
Lui répliqua la ménagère.
Vous hantez les palais; mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la première
De ce qu’on sert devant les dieux,
Croyez-vous qu’il en vaille mieux?

Si vous entrez partout, aussi font les profanes.

Sur la tête des rois et sur celle des ânes
Vous allez vous planter; je n’en disconviens pas;
Et je sais que d’un prompt trépas
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie.
J’en conviens: il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu’il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi?
Vous fassiez sonner vos mérites?
Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites?

Cessez donc de tenir un langage si vain

N’ayez plus de ces hautes pensées:
Les mouches de cour sont chassées,
Les mouchards sont pendus; et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,
Quand Phébus régnera sur un autre hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux.
Je n’irai par monts ni par vaux
M’exposer au vent, à la pluie.
Je vivrai sans mélancolie.
Le soin que j’aurai pris, de soin m’exemptera.
Je vous enseignerai par là
Ce que c’est qu’une fausse ou véritable gloire.
Adieu: je perds le temps; laissez-moi travailler.
Ni mon grenier ni mon armoire
Ne se remplit à babiller.”

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 3

La mouche et la fourmi

La mouche et la fourmi. J.-B. Oudry. Source : gallica.bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°93 – La cigale et la fourmi

La cigale et la fourmi

la cigale et la fourmi

La cigale et la fourmi, fable illustrée par J.-B. Oudry, Dessaint et Saillant, 1755, gallica.bnf.fr/BnF

La cigale ayant chanté

Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
“Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.”

La fourmi n’est pas prêteuse;

C’est là son moindre défaut.
“Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
– Vous chantiez? j’en suis fort aise.
Et bien! dansez maintenant.

Jean de La Fontaine, Fables, Livre I, 1

Source : La Fontaine, œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965