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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°73 – Le Corbeau et le Renard

 Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;,

Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Jean de La Fontaine Livre I, fable 2

Le corbeau et le renard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°72 – Le fermier, le Chien et le Renard

Le fermier, le Chien et le Renard

Le Loup et le Renard sont d’étranges voisins :

Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Ce dernier guettait à toute heure
Les poules d’un Fermier ; et quoique des plus fins,
Il n’avait pu donner d’atteinte à la volaille.
D’une part l’appétit, de l’autre le danger,
N’étaient pas au compère un embarras léger.
Hé quoi, dit-il, cette canaille,
Se moque impunément de moi ?

Je vais, je viens, je me travaille,

J’imagine cent tours ; le rustre, en paix chez-soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnaie,
Ses chapons, sa poulaille ; il en a même au croc :
Et moi maître passé, quand j’attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joie !
Pourquoi sire Jupin m’a-t-il donc appelé
Au métier de Renard ? Je jure les puissances
De l’Olympe et du Styx, il en sera parlé.

Roulant en son cœur ces vengeances,

Il choisit une nuit libérale en pavots :
Chacun était plongé dans un profond repos ;
Le Maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le Fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.
Le voleur tourne tant qu’il entre au lieu guetté ;
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :

Les marques de sa cruauté,

Parurent avec l’Aube : on vit un étalage
De corps sanglants, et de carnage.
Peu s’en fallut que le Soleil
Ne rebroussât d’horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d’un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride
Joncha son camp de morts : on vit presque détruit
L’ost des Grecs, et ce fut l’ouvrage d’une nuit.

Tel encore autour de sa tente

Ajax à l’âme impatiente,
De moutons, et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse,
Et les auteurs de l’injustice
Par qui l’autre emporta le prix.
Le Renard autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu’il peut, laisse étendu le reste.
Le Maître ne trouva de recours qu’à crier
Contre ses gens, son chien, c’est l’ordinaire usage.

Ah maudit animal qui n’es bon qu’à noyer,

Que n’avertissais-tu dès l’abord du carnage ?
Que ne l’évitiez-vous ? c’eût été plus tôt fait.
Si vous Maître et Fermier à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi chien qui n’ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos ?
Ce Chien parlait très-à propos :

Son raisonnement pouvait être

Fort bon dans la bouche d’un Maître ;
Mais n’étant que d’un simple chien,
On trouva qu’il ne valait rien.
On vous sangla le pauvre drille.
Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille,
(Et je ne t’ai jamais envié cet honneur,)
T’attendre aux yeux d’autrui, quand tu dors, c’est erreur.
Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.
Que si quelque affaire t’importe,
Ne la fais point par procureur.

Jean de La Fontaine Livre XI, fable 3

Le fermier le chien et le renard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°57 – Le Lion, le Loup et le Renard

Le Lion, le Loup et le Renard

Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,

Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.

Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi

Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère,
Ne m’ait à mépris imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage ;
Et m’acquittais d’un vœu fait pour votre santé.

Même j’ai vu dans mon voyage

Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite :
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.

Messire Loup vous servira,

S’il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa ;
Et de sa peau s’enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.

Jean de La Fontaine Livre VIII, fable 3

Le lion le loup et le renard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°56 – Le Lion malade et le Renard

Le lion malade et le renard

le lion malade et le renard

Le lion malade et le renard,fable illustrée par J.-B. Oudry, Dessaint et Saillant, 1755, gallica.bnf.fr/BnF

De par le Roi des animaux,

Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter ;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de Lion, très bien écrite :
Bon passeport contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L’édit du prince s’exécute :
De chaque espèce on lui députe.

Les Renards gardant la maison,

Un d’eux en dit cette raison :
« Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s’en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour :
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passeport.
 

Je le crois bon : mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l’on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. »

Jean de La Fontaine, Fables, Livre VI, 14

Source : La Fontaine, œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965