Le petit poisson et le pêcheur
Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.
Un carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un pêcheur au bord d’une rivière.
« Tout fait nombre, dit l’homme, en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin;
Mettons-le en notre gibecière.»
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière:
«Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir
Un carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un pêcheur au bord d’une rivière.
« Tout fait nombre, dit l’homme, en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin;
Mettons-le en notre gibecière.»
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière:
«Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée,
Laissez-moi carpe devenir:
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros partisan m’achètera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat? croyez-moi: rien qui vaille,
– Rien qui vaille? Eh bien, soit, repartit le pêcheur;
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire,
– Rien qui vaille? Eh bien, soit, repartit le pêcheur;
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire,
Dès ce soir, on vous fera frire.»
Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras.
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.
Jean de La Fontaine, Fables, Livre VI, 21
Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965