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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°9 – Le chat, la belette et le petit lapin

Le chat, la belette et le petit lapin

 

Du palais d’un jeune Lapin

Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.

Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,

Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l’animal chassé du paternel logis :
O là, Madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.

La Dame au nez pointu répondit que la terre

Etait au premier occupant.
C’était un beau sujet de guerre
Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l’octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.

Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.

Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
– Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.

C’était un chat vivant comme un dévot ermite,

Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,

Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportants aux Rois.

Jean de La Fontaine, Livre VII, 15

Le chat, la belette et le petit lapin. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°8 – Le singe et le chat

Le singe et le chat

 

Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,

Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.

Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté

Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.

Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui

Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.

Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,

D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient : adieu mes gens. Raton

N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.

Jean de La Fontaine, Livre IX, 17

Le chat et le singe. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°7 – Le chat et le renard

Le Chat et le Renard

Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,

S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais Tartufs, deux archipatelins,
Deux francs Patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.

Le chemin était long, et partant ennuyeux,

Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.

Le Renard au Chat dit enfin :

Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre : je n’ai qu’un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu’il en vaut mille.
Eux de recommencer la dispute à l’envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.

Le Chat dit au Renard : Fouille en ton sac, ami :

Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.
À ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.

Partout il tenta des asiles,

Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un Terrier, deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.
Le trop d’expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Jean de La Fontaine Livre IX, 14

Le chat et le renard. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°6 – Le chat et les deux moineaux

Le chat et les deux moineaux

 

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,

Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau:
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.

Ce dernier toutefois épargnait son ami.

Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.

Le Passereau, moins circonspect,

Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.

Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,

Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.

Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle

D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?

Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

Jean de La Fontaine Livre XII, 2

Le chat et les deux moineaux. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°5 – Le chat et le rat

Le chat et le rat

Le chat et le rat. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage,

Triste-oiseau le Hibou, Ronge-maille le Rat,
Dame Belette au long corsage,
Toutes gens d’esprit scélérat,
Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage.

Tant y furent, qu’un soir à l’entour de ce pin

L’homme tendit ses rets*. Le Chat de grand matin
Sort pour aller chercher sa proie.
Les derniers traits de l’ombre empêchent qu’il ne voie
Le filet ; il y tombe, en danger de mourir ;
Et mon Chat de crier, et le Rat d’accourir,
L’un plein de désespoir, et l’autre plein de joie.
Il voyait dans les lacs* son mortel ennemi.

Le pauvre Chat dit : Cher ami,

Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit :
Viens m’aider à sortir du piège où l’ignorance
M’a fait tomber. C’est à bon droit
Que seul entre les tiens par amour singulière
Je t’ai toujours choyé, t’aimant comme mes yeux.
Je n’en ai point regret, et j’en rends grâce aux Dieux.

J’allais leur faire ma prière ;

Comme tout dévot Chat en use les matins.
Ce réseau* me retient : ma vie est en tes mains :
Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense
En aurai-je ? reprit le Rat.
Je jure éternelle alliance
Avec toi, repartit le Chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance :

Envers et contre tous je te protégerai,
Et la Belette mangerai
Avec l’époux de la Chouette.
Ils t’en veulent tous deux. Le Rat dit : Idiot !
Moi ton libérateur ? Je ne suis pas si sot.
Puis il s’en va vers sa retraite.
La Belette était près du trou.

Le Rat grimpe plus haut ; il y voit le Hibou :

Dangers de toutes parts ; le plus pressant l’emporte.
Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte
Qu’il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu’il dégage enfin l’hypocrite.
L’homme paraît en cet instant.
Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre Chat vit de loin
Son Rat qui se tenait à l’erte* et sur ses gardes.

Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser ; ton soin*

Me fait injure ; tu regardes
Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j’aie oublié
Qu’après Dieu je te dois la vie ?
Et moi, reprit le Rat, penses-tu que j’oublie
Ton naturel ? Aucun traité
Peut-il forcer un Chat à la reconnaissance ?
S’assure-t-on sur l’alliance
Qu’a faite la nécessité ?
 

Jean de La Fontaine, Fables, Livre VIII, 22

 
* Rets : filets
* Lacs : nœuds coulants
* Réseau : filet pour attraper les oiseaux.
* Se tenir à l’erte : être au guet.
* Soin : préoccupation.
 

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965