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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°49 – Le Lion et le Moucheron

Le Lion et le Moucheron

Le lion et le moucheron. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

« Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre! »*

C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie. »

A peine il achevait ces mots

Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette* et le héros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle :

Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte* montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

Le malheureux lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?

J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

Jean de La Fontaine Livre II, fable 9

* Parodie d’un vers de Malherbe contre Concini: “Va-t-en à la malheure, excrément de la terre”.
* Faîte : partie la plus haute de quelque chose; sommet.
* Le trompette : le musicien qui joue de la trompette.

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965