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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°54 – Le Lion s’en allant en guerre

Le Lion s’en allant en guerre

Le Lion dans sa tête avait une entreprise.

Il tint conseil de guerre, envoya ses Prévots,
Fit avertir les animaux :
Tous furent du dessein, chacun selon sa guise.
L’Eléphant devait sur son dos
Porter l’attirail nécessaire
Et combattre à son ordinaire,
L’Ours s’apprêter pour les assauts ;
Le Renard ménager de secrètes pratiques,
Et le Singe amuser l’ennemi par ses tours.

Renvoyez, dit quelqu’un, les Anes qui sont lourds,

Et les Lièvres sujets à des terreurs paniques.
– Point du tout, dit le Roi, je les veux employer.
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L’Ane effraiera les gens, nous servant de trompette,
Et le Lièvre pourra nous servir de courrier.
Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connaît les divers talents :
Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens.

Jean de La Fontaine Livre V, fable 19

Le lion s’en allant en guerre. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Les Flâneries de Soracha n° 6 : hommage à Oronce Fine

Hommage à Oronce Fine (1494-1555)
Une flânerie dans le 5e arrondissement de Paris

Tout a commencé par un petit coin de verdure où l’entretien du lieu semble laissé à la fantaisie de Dame Nature. Au centre, un minuscule bassin est presque envahi par les herbes. Entouré de grilles, le square est fermé; promeneur, passe ton chemin. Car il s’agit bien d’un square – comme l’indique son nom – : square Oronce Fine (Paris, 5e).

Square Oronce Fine. Paris 5eme. ©LeRat de Soracha.

Square Oronce Fine. Paris 5eme. ©LeRat de Soracha.

Partons sur les traces d’Oronce Fine…

Portrait d'Oronce Fine

Oronce Fine.

Oronce Fine est né le 20 décembre 1494 à Briançon d’un père médecin passionné d’astrologie : il a même construit un appareil pour observer les mouvements des planètes. Orphelin très jeune, l’enfant est envoyé à Paris chez un compatriote – Antoine Silvestre – qui enseigne les belles lettres au collège de Montaigu.

Notre première étape nous conduit au collège de Navarre où le jeune Oronce fait ses études. Excellent élève, le jeune homme se passionne pour les mathématiques qu’il étudie dans les livres car elles sont alors peu enseignées.
Fondé en 1304 par Jeanne de Navarre, l’épouse de Philippe le Bel, le collège de Navarre est l’un des célèbres collèges installés le long de l’actuelle rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Supprimé à la Révolution, il est remplacé par l’école centrale des travaux publics créée le 11 mars 1794 par la Convention, sous l’influence du mathématicien Gaspard Monge, laquelle devient en 1795 l’Ecole Polytechnique. Nous pouvons encore voir le portail d’entrée construit en 1838 au n°5 de la rue Descartes.

Collège de France

Porte d’entrée du Collège de France ©Le Rat de Soracha.

Notre deuxième étape nous conduit au Collège de France. Pour vivre, Oronce devient correcteur d’imprimerie, au service des éditeurs. Presque toutes les publications se font à cette époque en latin. Fine dessine également les figures dans les livres qu’ils “corrigent”: en 1515, il collabore ainsi au Theoricae novae planetarum, id est septem errantium syderum du mathématicien et astronome Georg Peurbach. En 1516, Oronce Fine devient professeur de mathématiques au collège de Navarre. Dix ans plus tard, il publie son premier traité d’astronomie : Aequatorium planetarum unico instrumente comprenhensum.

En 1531, Fine défend les mathématiques dans son Epistre exhortative touchant la perfection et commodite des arts liberault mathematiques qu’il dédie au roi. Il souhaite que l’enseignement des mathématiques se répande au-delà des universités. En réponse, François Ier le nomme lecteur royal et lui confie une chaire de mathématiques au Collège de France.

Promathesis – Illustration.

Fine écrit la première version de son ouvrage Protomathesis, considéré comme un recueil encyclopédique des savoirs. Il s’agit de 4 traités illustrés comprenant des livres d’arithmétiques, de cosmographie, de géométrie et de gnomonique – l’art de construire des cadrans solaires.

Fine invente aussi des instruments mathématiques, tel le “carré géométrique” qu’il présente dans son ouvrage Un bref et singulier Traicté touchant la composition et usage d’un instrument appelé le quarré géométrique.

 

Notre troisième étape nous conduit à la Bibliothèque Sainte-Geneviève où se trouve, depuis 1969, la plus ancienne horloge planétaire sur les cinq conservées. L’horloge a été construite en partie par Oronce Fine pour le cardinal de Lorraine en 1553 comme en témoigne l’inscription sur le cadran astrolabique. Les faces strictement planétaires sont plus anciennes remontent probablement au début du XVIe siècle ou aux dernières années du XVe siècle. A sa mort, le cardinal de Lorraine en fit don à la bibliothèque des Génovéfains de l’Abbaye Sainte-Geneviève.

Horloge planétaire. Bibliothèque Sainte-Geneviève

Horloge planétaire. Bibliothèque Sainte-Geneviève. ©LeRat de Soracha.

L’horloge d’Oronce Fine est une tour pentagonale montée sur un grand piédestal de bois sculpté représentant cinq greffons dressés autour d’une colonne, surmontée d’un globe céleste qui tourne selon le mouvement quotidien de la sphère des fixes. Cinq faces de la tour sont affectées aux cadrans : l’une porte le cadran solaire et le cadran astrolabique modifiés par Oronce Fine, les autres les cadrans planétaires.

Une horloge planétaire représente le mouvement de la voûte planétaire, conçue par l’astronomie à la fin du Moyen Âge. Ce n’est pas un instrument scientifique; elle a pour but de faire apprécier la compétence des astronomes et des horlogers à un public ignorant l’harmonie des mouvements célestes, Elle doit émerveiller, instruire, étonner.

Notre dernière étape nous mène sur le site Gallica. Car Oronce Fine est aussi un cartographe. En 1525, il réalise la Nova totius Galliae descriptio, première carte de France de cette dimension.

 

Oronce Fine. Carte de France

Oronce Fine. Carte de France

En 1531, il crée une mappemonde bi-cordiforme Nova et integra universi orbis descriptio. Devant le succès de cette mappemonde, il en fait une autre en 1534-1535 en projection cordiforme Recens et integra orgis descriptio :

Oronce Fine. Mappemonde en forme de coeur.

Oronce Fine. Mappemonde en forme de coeur.

Selon la plaque apposée sur les grilles du square par la Société Fraternelle des Hautes Alpes, Oronce Fine aurait été aussi musicien – il aurait écrit une méthode pour enseigner le luth – et philologue.

Oronce Fine - Usage du Quarré mathématique

Illustration – Usage du quarré géométrique.

Terminons cet hommage par ces vers écrits à sa mort:
Le corps en terre à la fin s’est rendu
D’Oronce mort. Mort ? c’est mal entendu ;
Il est là-haut apellé par les Dieux,
Pour avec eux vivre, et régir les cieux ;
Il est ravi sur la machine ronde
Pour mieux la voir et régler : en ce monde
Ne fut trouvé digne de telle charge
Autre vivant, tant fut il docte et sage.
Donc aux cieux son esprit s’est rendu :
Voilà pourquoi, hélas, l’avons perdu ».

Sources :
Oronce Fine sur Gallica;
Gallois L., La grande carte de France d’Oronce Fine, Annales de géographie, 1935, 250, p. 337-348; ,
Poulle E., « Les mécanisations de l’astronomie des épicycles : l’horloge d’Oronce Fine », communication à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, CR des séances, 118e année, n°1, 1974, p. 59-79

Les vrais pourtraits et vies des hommes illustres, 1584.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°53 – Le Lion amoureux

Le Lion amoureux

À Mademoiselle de Sévigné

Sévigné, de qui les attraits

Servent aux grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
À votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une Fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un Lion qu’Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.

Heureux qui peut ne le connaître

Que par récit, lui ni ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La Fable au moins se peut souffrir :
Celle-ci prend bien l’assurance
De venir à vos pieds s’offrir,
Par zèle et par reconnaissance.

Du temps que les bêtes parlaient,

Les Lions, entre autres, voulaient
Être admis dans notre alliance.
Pourquoi non ? Puisque leur engeance
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure outre cela.
Voici comment il en alla.

Un Lion de haut parentage,

En passant par un certain pré,
Rencontra Bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur ;
La refuser n’était pas sûr ;
Même un refus eût fait, possible,
Qu’on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin.

Car outre qu’en toute manière

La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D’amoureux à longue crinière.
Le Père donc ouvertement
N’osant renvoyer notre amant,
Lui dit : Ma fille est délicate ;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.

Permettez donc qu’à chaque patte

On vous les rogne, et pour les dents
Qu’on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Étant sans ces inquiétudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !

Sans dents ni griffes le voilà,

Comme place démantelée.
On lâche sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu prudence.

Jean de La Fontaine Livre VI, fable 1

Le lion amoureux. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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François Coppée – “Mois d’Octobre”

“Le mois d’Octobre” François Coppée

Avant que le froid glace les ruisseaux
Et voile le ciel de vapeurs moroses,
Écoute chanter les derniers oiseaux,
Regarde fleurir les dernières roses.

Octobre permet un moment encor
Que dans leur éclat les choses demeurent ;
Son couchant de pourpre et ses arbres d’or
Ont le charme pur des beautés qui meurent.

Tu sais que cela ne peut pas durer,
Mon cœur ! mais, malgré la saison plaintive,
Un moment encor tâche d’espérer
Et saisis du moins l’heure fugitive.

Bâtis en Espagne un dernier château,
Oubliant l’hiver, qui frappe à nos portes
Et vient balayer de son dur râteau
Les espoirs brisés et les feuilles mortes.

François Coppée 1842 – 1908

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°52 – Le Lion devenu vieux

Le Lion devenu vieux

<div style=”text-indent: 15px;”>Le Lion, terreur des forêts,</div>
Chargé d’ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.
Le Cheval s’approchant lui donne un coup de pied ;
Le Loup un coup de dent, le Boeuf un coup de corne.
<div style=”text-indent: 15px;”>Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,</div>
Peut a peine rugir, par l’âge estropié.
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes ;
Quand voyant l’Ane même à son antre accourir :
“Ah ! c’est trop, lui dit-il ; je voulais bien mourir ;
Mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes. ”

Jean de La Fontaine Livre III, fable 14

Le lion devenu vieux. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°51 – Le Lion abattu par l’Homme

Le Lion abattu par l’Homme

On exposait une peinture

Où l’artisan avait tracé
Un Lion d’immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants en tiraient gloire.
Un Lion en passant rabattit leur caquet.

“Je vois bien, dit-il, qu’en effet

On vous donne ici la victoire ;
Mais l’Ouvrier vous a déçus :
Il avait liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre. ”

Jean de La Fontaine Livre III, fable 10

Le lion et le moucheron. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°50 – Le Lion et l’Ane chassant

Le Lion et l’Âne chassant

Le roi des animaux se mit un jour en tête

De giboyer. Il célébrait sa fête.
Le gibier du Lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons Sangliers, Daims et Cerfs bons et beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
De l’Ane à la voix de Stentor.
L’Ane à Messer Lion fit office de Cor.

Le Lion le posta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, assuré qu’à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n’était pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix ;
L’air en retentissait d’un bruit épouvantable ;
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois.
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion.

N’ai-je pas bien servi dans cette occasion ?

Dit l’Ane, en se donnant tout l’honneur de la chasse.
– Oui, reprit le Lion, c’est bravement crié :
Si je connaissais ta personne et ta race,
J’en serais moi-même effrayé.
L’Ane, s’il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu’on le raillât avec juste raison :
Car qui pourrait souffrir un Ane fanfaron ?
Ce n’est pas là leur caractère.

Jean de La Fontaine Livre II, fable 19

Le lion et l’âne chassant. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Paul Verlaine – “Clochi-clocha”

“Clochi-clocha” de Paul Verlaine 

L’église Saint-Nicolas
Du Chardonnet bat un glas,
Et l’église Saint-Étienne
Du Mont lance à perdre haleine
Des carillons variés
Pour de jeunes mariés,
Tandis que la cathédrale
Notre-Dame de Paris,
Nuptiale et sépulcrale,
Bourdonne dans le ciel gris.

Ainsi la chance bourrue
Qui m’a logé dans la rue
Saint-Victor, seize, le veut ;
Et l’on fait ce que l’on peut,
Surtout à l’endroit des cloches,
Quand on a peu dans ses poches
De cet or qui vous rend rois,
Et lorsque l’on déménage,
Vous permet de faire un choix
À l’abri d’un tel tapage.

Après tout, ce bruit n’est pas
Pour annoncer mon trépas
Ni mes noces. Lors, me plaindre
Est oiseux, n’ayant à craindre
De ce conflit de sonneurs
Grands malheurs ni gros bonheurs.
Faut en prendre l’habitude ;
C’est de la vie, aussi bien :
La voix douce et la voix rude
Se fondant en chant chrétien…

Paul Verlaine 1844 – 1896

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°49 – Le Lion et le Moucheron

Le Lion et le Moucheron

Le lion et le moucheron. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

« Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre! »*

C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi :
Je le mène à ma fantaisie. »

A peine il achevait ces mots

Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette* et le héros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle :

Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte* montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

Le malheureux lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?

J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

Jean de La Fontaine Livre II, fable 9

* Parodie d’un vers de Malherbe contre Concini: “Va-t-en à la malheure, excrément de la terre”.
* Faîte : partie la plus haute de quelque chose; sommet.
* Le trompette : le musicien qui joue de la trompette.

Source : La Fontaine, Œuvres complètes, L’Intégrale/Seuil, 1965