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La Gazette de Soracha – n°1 : Gutenberg

Le 3 février 1468, Johannes Gensfleich zur Laden zum Gutenberg – dit Gutenberg -, inventeur de génie, est décédé à Mayence.

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Né à Mayence vers 1400, Gutenberg  s’est installé en 1434 à Strasbourg où il a fait son apprentissage dans l’orfèvrerie. Il travaille les métaux – alliages, ciselures –  et la taille des pierres précieuses.
Gutenberg cherche à reproduire plus rapidement et en plus grand nombre les manuscrits médiévaux – appelés codex – réalisés par les moines copistes. Il crée des caractères mobiles en métal, formé d’un alliage de plomb, d’antimoine et d’étain, qui s’apparentent à l’écriture gothique utilisée par les moines.

Gutenberg invente la presse typographique et découvre l’encre grasse d’impression : la feuille à imprimer est posée sur les caractères mobiles, insérés dans un cadre métallique – appelé forme imprimante – , encrés manuellement. Compressée, la feuille se trouve imprimée. C’est le début de l’imprimerie en Occident.

Gutenberg imprime d’abord la Grammaire latine de Donat, les Lettres d’indulgence pour l’Eglise avant de passer à son oeuvre majeure : la Biblia latina. Cette oeuvre exceptionnelle est imprimée entre 1452 et 1455, sur parchemin – vélin – et sur papier, en format in-folio (2 volumes), composée sur deux colonnes de 42 lignes chacune. En trois ans, Gutenberg en imprime environ 180 exemplaires, prouesse technique pour l’époque, car aucun moine n’était capable de copier autant d’exemplaires dans le même laps de temps.

Un quart des exemplaires de la Bible de Gutenberg a été publié sur vélin et les trois quarts sur papier, les deux supports de l’écrit utilisés au XVe siècle. Le texte est d’abord imprimé en caractères noirs sur deux colonnes de 40 lignes chacune, très rapidement porté à 41 lignes, puis enfin à 42, par souci d’économie – d’où son appellation aujourd’hui de B 42 -. Des espaces  – appelés découverts en typographie – sont laissés vides pour y insérer des lettrines peintes par les moines ou autres enlumineurs. Des enluminures pouvaient également être ajoutées à la main sur certains feuillets pour faire de ces livres imprimés de vrais ouvrages d’art, comme l’étaient les codex. Chaque livre imprimé est ainsi personnalisé par son acheteur.

Les 48 exemplaires – dont 12 en velin – de la Bible de Gutenbert, aujourd’hui connus à travers le monde, sont donc uniques. La Bibliothèque Mazarine en possède un exemplaire papier complet. La Bibliothèque Nationale de France en possède deux : un exemplaire complet en vélin qui vient d’être numérisé, l’autre incomplet en papier, également numérisé.  Un exemplaire papier incomplet provenant de l’Abbaye de Saint-Bertin,  est conservé  à la bibliothèque municipale de Saint-Omer ; il est également numérisé.

La révolution Gutenberg a duré plus de cinq siècles. Une page se tourne ; la révolution numérique débute.

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François Coppée – “Mois de février”

“Mois de février” de François Coppée

Hélas ! dis-tu, la froide neige
Recouvre le sol et les eaux ;
Si le bon Dieu ne les protège,
Le printemps n’aura plus d’oiseaux !

Rassure-toi, tendre peureuse ;
Les doux chanteurs n’ont point péri.
Sous plus d’une racine creuse
Ils ont un chaud et sûr abri.

Là, se serrant l’un contre l’autre
Et blottis dans l’asile obscur,
Pleins d’un espoir pareil au nôtre,
Ils attendent l’Avril futur ;

Et, malgré la bise qui passe
Et leur jette en vain ses frissons,
Ils répètent à voix très basse
Leurs plus amoureuses chansons.

Ainsi, ma mignonne adorée,
Mon cœur où rien ne remuait,
Avant de t’avoir rencontrée,
Comme un sépulcre était muet ;

Mais quand ton cher regard y tombe,
Aussi pur qu’un premier beau jour,
Tu fais jaillir de cette tombe
Tout un essaim de chants d’amour.

François Coppée, Les mois 1878

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Du mariage bourgeois – Marie d’Agoult

Dans ses Mémoires, Marie d’Agoult raconte son mariage bourgeois et le spleen que ce mariage lui a causé. C’était bien sûr avant la rencontre avec Franz Liszt qui allait changer la vie de la Comtesse d’Agoult.

Henri Lehmann, Portrait de Marie d’Agoult (1843).

« Il y avait six années que j’étais mariée. J’étais la femme d’un homme de cœur et d’honneur ; j’étais la mère de deux enfants pleins de grâce et de gentillesse. La fortune et les usages du monde où je vivais m’assuraient une pleine liberté. J’avais une famille excellente, des relations nombreuses, mille moyens faciles d’occuper ou d’amuser mes journées ; je possédais enfin tout ce que l’on est convenu d’appeler une belle et grande existence.

Mais combien ma vie intime répondait peu à ces dehors brillants !

Depuis le jour de mon mariage, je n’avais pas eu une heure de joie. Le sentiment d’un isolement complet du cœur et de l’esprit dans les rapports nouveaux que me créait la vie conjugale, un étonnement douloureux de ce que j’avais fait en me donnant à un homme qui ne m’inspirait point d’amour avaient jeté dès ce premier jour, sut toutes mes pensées une tristesse mortelle, et depuis lors, à mesure que se déroulaient les conséquences d’une union dont rien ne pouvait plus rompre le nœud, à mesure que se multipliaient les occasions où s’accusaient involontairement, entre mon mari et moi, les oppositions de nature, de caractère et d’esprit, au lieu de m’y accoutumer ou de m’y résigner, j’en avais souffert de plus en plus.

Et ce qui aggravait encore ma peine, c’est que je me croyais tenue de la cacher. En faire confidence à qui que ce fût m’eût paru un tort très grave, presque une trahison envers celui que j’avais promis d’aimer et que je devais du moins respecter par mon silence. Aussi, même avec mes plus proches, même avec le prêtre, à qui, sauf en ce seul point, j’ouvrais mon âme tout entière, je feignais le consentement. Et, dans l’effort continu qu’il me fallait faire pour me montrer autre que je n’étais, je perdais la tranquillité et cette joie intérieure de la conscience qui naît d’une sincérité parfaite.
Une inquiétude sans objet, une sorte de remords qui ne savait où se prendre, car mes intentions étaient droites et mes désirs les plus purs du monde, la vague et vaine image des félicités que la vie prodigue à ceux qui s’aiment, l’effroi d’un avenir où rien ne pouvait changer, telle était, depuis six années, ma disposition constante, dans une existence aride et contrainte, où se flétrissaient, une à une, faute d’air et de lumière, les plus chères espérances et toutes les ardeurs de ma jeunesse trompée.

Comment donc un mariage qui devait avoir si vite des effets si tristes avait-il pu se faire ?

Passionnée, romanesque comme je l’étais alors, quelle méconnaissance de moi-même avait donc pu m’égarer jusqu’à ce point de consentir à une union où l’inclination n’avait aucune part ?

Exempte des ambitions et des vanités du monde, pourquoi m’étais-je laissé marier selon le monde ?

Par quelle aberration de la volonté en étais-je venue, si jeune encore, à prendre pour époux un homme que je connaissais à peine, et dont toute la personne formait avec la mienne une dissonance telle que les moins prévenus s’en apercevaient tout d’abord ? Par quelle incroyable puissance de la coutume, un mariage que tout déconseillait, la distance des âges, la diversité de humeurs et jusqu’au contraste apparent des formes extérieures fut-il deux fois rompu, deux fois renoué, comme par une obstination du sort, conclu enfin, malgré mon appréhension dominante à son approche ? […]

[…] Quoi qu’il en soit, je m’aperçus trop tard que j’avais trop présumé de ma force, en renonçant aux rêves de mon jeune âge et à l’espérance d’aimer. Il se fit en moi un vide affreux. J’essayai de le combler par les plaisirs du monde et par la multiplicité de ses devoirs futiles, mais en vain. Mon caractère sérieux et sincère répugnait aux frivolités et à tous les faux-semblants. Cette agitation fébrile où je me jetais de parti pris m’étourdissait et me fatiguait sans me distraire, et quand je considérais l’emploi de mes heures, je me prenais moi-même en pitié ».

Mémoires, souvenirs et journaux de la comtesse d’Agoult, Mercure de France, le temps retrouvé, p. 333, 334 et 335.

Source visuel : wiki-commons.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°17 – L’Aigle, la Laie, et la Chatte

L’Aigle, la Laie, et la Chatte

L’Aigle avait ses petits au haut d’un arbre creux.

La Laie au pied, la Chatte entre les deux ;
Et sans s’incommoder, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage.
La Chatte détruisit par sa fourbe l’accord.

Elle grimpa chez l’Aigle, et lui dit : Notre mort

(Au moins de nos enfants, car c’est tout un aux mères)
Ne tardera possible guères.
Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine ?

C’est pour déraciner le chêne assurément,

Et de nos nourrissons attirer la ruine.
L’arbre tombant, ils seront dévorés :
Qu’ils s’en tiennent pour assurés.
S’il m’en restait un seul, j’adoucirais ma plainte.

Au partir de ce lieu, qu’elle remplit de crainte,

La perfide descend tout droit
A l’endroit
Où la Laie était en gésine.
Ma bonne amie et ma voisine,
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis.

L’aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits :

Obligez-moi de n’en rien dire :
Son courroux tomberait sur moi.
Dans cette autre famille ayant semé l’effroi,
La Chatte en son trou se retire.

L’Aigle n’ose sortir, ni pourvoir aux besoins

De ses petits ; la Laie encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,
Ce doit être celui d’éviter la famine.
A demeurer chez soi l’une et l’autre s’obstine
Pour secourir les siens dedans l’occasion :
L’Oiseau Royal, en cas de mine,
La Laie, en cas d’irruption.

La faim détruisit tout : il ne resta personne

De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne,
Qui n’allât de vie à trépas :
Grand renfort pour Messieurs les Chats.
Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse ?

Des malheurs qui sont sortis

De la boîte de Pandore,
Celui qu’à meilleur droit tout l’Univers abhorre,
C’est la fourbe, à mon avis.

Jean de La Fontaine Livre III, 6

L’aigle, la laie et le souriceau. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°16 – Les deux rats, le renard et l’oeuf

Les deux rats, le renard et l’œuf

Deux Rats cherchaient leur vie ; ils trouvèrent un Œuf.

Le dîné suffisait à gens de cette espèce !
Il n’était pas besoin qu’ils trouvassent un Boeuf.
Pleins d’appétit, et d’allégresse,
Ils allaient de leur oeuf manger chacun sa part,
Quand un Quidam parut. C’était maître Renard ;
Rencontre incommode et fâcheuse.

Car comment sauver l’oeuf ? Le bien empaqueter,

Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner,
C’était chose impossible autant que hasardeuse.
Nécessité l’ingénieuse
Leur fournit une invention.

Comme ils pouvaient gagner leur habitation,

L’écornifleur étant à demi-quart de lieue,
L’un se mit sur le dos, prit l’oeuf entre ses bras,
Puis, malgré quelques heurts et quelques mauvais pas,
L’autre le traîna par la queue.
Qu’on m’aille soutenir après, un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit.

Pour moi, si j’en étais le maître,

Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu’un peut donc penser ne se pouvant connaître.
Par un exemple tout égal,
J’attribuerais à l’animal
Non point une raison selon notre manière,
Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort :

Je subtiliserais un morceau de matière,

Que l’on ne pourrait plus concevoir sans effort,
Quintessence d’atome, extrait de la lumière,
Je ne sais quoi plus vif et plus mobile encore
Que le feu : car enfin, si le bois fait la flamme,
La flamme en s’épurant peut-elle pas de l’âme
Nous donner quelque idée, et sort-il pas de l’or
Des entrailles du plomb ? Je rendrais mon ouvrage
Capable de sentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement,
Sans qu’un Singe jamais fit le moindre argument.

A l’égard de nous autres hommes,

Je ferais notre lot infiniment plus fort :
Nous aurions un double trésor ;
L’un cette âme pareille en tout-tant que nous sommes,
Sages, fous, enfants, idiots,
Hôtes de l’univers, sous le nom d’animaux ;
L’autre encore une autre âme, entre nous et les Anges
Commune en un certain degré
Et ce trésor à part créé
Suivrait parmi les airs les célestes phalanges,
Entrerait dans un point sans en être pressé,
Ne finirait jamais quoique ayant commencé :
Choses réelles, quoique étranges.

Tant que l’enfance durerait,

Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait
Qu’une tendre et faible lumière ;
L’organe étant plus fort, la raison percerait
Les ténèbres de la matière,
Qui toujours envelopperait
L’autre âme, imparfaite et grossière.

Jean de La Fontaine Livre IX

Les deux rats, le renard et l’oeuf. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Un livre : “N’abandonnez jamais, ne renoncez à rien” de Francis Huster

Pompona a lu le pamphlet de Francis Huster “N’abandonnez jamais, ne renoncez à rien” et a beaucoup apprécié.

« Peut-être est-ce moins au monde tel qu’il va que je m’en prends qu’à nous-mêmes, cette manière que nous avons de nous accoutumer au pire et de nous assoupir devant ce qui devrait nous révolter. De faire comme si nous n’avions jamais eu de rêves ».

Et voici que Francis Huster nous exprime en 200 pages sa colère en partant d’une jolie idée : comparer nos comportements et celui de Molière.

 

En dix chapitres aux titres choc – « osez la vérité, crever de rire, cultiver ses ennemis », Francis Huster pousse ses coups de gueule, critique l’air du temps et le langage employé – « on ne distingue plus de vieillards, mais des seniors, … plus de cancers mais de longues maladies » –, donne ses conseils pour vivre, vivre pleinement sa vie, ses émotions. Peu importe le quand-dira-t-on, « tant pis pour ceux à qui ça déplaît » … les formules sont lapidaires – « nous allons tous mourir, grand bien nous fasse ! », le style cassant et incisif.

Parallèlement l’ami Molière se construit à l’ombre de Jean-Baptiste Poquelin, son « doublon castrateur, pragmatique, prudent, calculateur, intéressé bon gestionnaire !». Molière qui « dit ses quatre vérités aux puissants comme au peuple avec une égale naïveté ». « Molière, cocu, trahi, ruiné, mais qui finit par tuer Poquelin ».

Molière, jamais entré à l’Académie française de son temps, ni au Panthéon aujourd’hui, fait remarquer acerbe Francis Huster. Et de s’emporter contre certaines idées reçues : Molière n’aurait cherché qu’à séduire et divertir. Faux, archi-faux et Huster de nous expliquer pourquoi.

Et voici les pièces qui défilent : certaines très connues, d’autres moins – George Dandin, La Princesse d’Elide, Mélicerte, Le Sicilien ou l’Amour peintre, Monsieur de Pourceaugnac, Les Amants magnifiques, Le Bourgeois gentilhomme, Tartuffe, Le Misanthrope -. Francis Huster évoque aussi les drames plus intimes : la mort du jeune fils de Molière, Louis, la perte de Marquise partie vivre avec Racine, le quotidien avec Armande Béjart.

Une lecture rapide – un livre vite lu. Qu’en reste-t-il ? Un portrait original de Molière et quelques jolies images :

« Chacun a quatre vies.
Celle qu’il vit.
Celle qu’il croit vivre.
Celle qu’il rêverait de vivre.
Puis, une fois mort, celle qu’on lui prête avoir vécue ».

Quelques commandements à retenir:

« Cesse de critiquer les autres : fais mieux qu’eux.
Cesse de convoiter ce que tu n’as pas, : donne-toi les moyens de le posséder.
Ne refuse pas le malheur : affronte-le et profites-en pour t’aguerrir.
Ne contourne pas la difficulté : prends plaisir à la résoudre.
N’attends rien des autres : ils finiront par te suivre !”

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°15 – Le rat qui s’est retiré du monde

Le rat qui s’est retiré du monde

Les Levantins en leur légende

Disent qu’un certain Rat las des soins d’ici-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.
La solitude était profonde,
S’étendant partout à la ronde.
Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.

Il fit tant de pieds et de dents

Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?
Il devint gros et gras ; Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font voeu d’être siens.
Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple Rat
S’en vinrent demander quelque aumône légère :
Ils allaient en terre étrangère
Chercher quelque secours contre le peuple chat ;

Ratopolis était bloquée :

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l’état indigent
De la République attaquée.
Ils demandaient fort peu, certains que le secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le Solitaire,
Les choses d’ici-bas ne me regardent plus :
En quoi peut un pauvre Reclus
Vous assister ? que peut-il faire,
Que de prier le Ciel qu’il vous aide en ceci ?

J’espère qu’il aura de vous quelque souci.

Ayant parlé de cette sorte.
Le nouveau Saint ferma sa porte.
Qui désignai-je, à votre avis,
Par ce Rat si peu secourable ?
Un Moine ? Non, mais un Dervis :
Je suppose qu’un Moine est toujours charitable.

Jean de La Fontaine Livre VII, 3

Le rat qui s’est retiré du monde. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Cendrillon (extrait) – Hommage à Charles Perrault

Pour célébrer le 390e anniversaire de la naissance de Charles Perrault, Bat la sorcière philosophe vous propose cet extrait du conte Cendrillon :

… « Enfin l’heureux jour arriva, on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus longtemps qu’elle put ; lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa Marraine, qui la vit toute en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait. « Je voudrais bien… je voudrais bien … » Elle pleurait si fort qu’elle ne put achever. Sa Marraine, qui était Fée, lui dit : « Tu voudrais bien aller au Bal, n’est-ce pas ? – Hélas oui, dit Cendrillon en soupirant. – Hé bien, seras-tu bonne fille ? dit sa Marraine, je t’y ferai aller. » Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : « Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille. » Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver, et la porta à sa Marraine, ne pouvant deviner comment une citrouille la pourrait faire aller au Bal. Sa Marraine la creusa, et n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changé en un beau carrosse tout doré. Ensuite elle alla regarder dans la souricière, où elle trouva six souris toutes en vie ; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette, et la souris était aussitôt changée en un beau cheval ; ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé. Comme elle était en peine de qui elle ferait un Cocher : « Je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a point quelque rat dans la ratière, nous en ferons un Cocher. – Tu as raison, dit sa Marraine, va voir. » Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La Fée en prit un d’entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, et l’avant touché, il fut changé en un gros Cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues. Ensuite elle lui dit : « Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir, apporte-les-moi. » Elle ne les eut pas plus tôt apportés que la Marraine les changea en six Laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés, comme s’ils n’eussent fait autre chose toute leur vie. La Fée dit alors à Cendrillon : « Hé bien, voilà de quoi aller au bal, n’es-tu pas bien aise ? » – Oui, mais est-ce que j’irai comme cela avec mes vilains habits ? » Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse ; mais sa Marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas passer minuit, l’avertissant que si elle demeurait au Bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses vieux habits reprendraient leur première forme …

 

Source : Charles Perrault, Contes, Folio classique, p. 172-174.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°14 – La ligue des rats

La ligue des rats

Une Souris craignait un Chat

Qui dès longtemps la guettait au passage.
Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage,
Consulte son Voisin : c’était un maître Rat,
Dont la rateuse Seigneurie
S’était logée en bonne Hôtellerie,
Et qui cent fois s’était vanté, dit-on,
De ne craindre de chat ou chatte
Ni coup de dent, ni coup de patte.

Dame Souris, lui dit ce fanfaron,

Ma foi, quoi que je fasse,
Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace ;
Mais assemblant tous les Rats d’alentour,
Je lui pourrai jouer d’un mauvais tour.
La Souris fait une humble révérence ;
Et le Rat court en diligence
A l’Office, qu’on nomme autrement la dépense,
Où maints Rats assemblés
Faisaient, aux frais de l’Hôte, une entière bombance.

Il arrive les sens troublés,

Et les poumons tout essoufflés.
Qu’avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez.
En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C’est qu’il faut promptement secourir la Souris, Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange ravage.
Ce Chat, le plus diable des Chats,
S’il manque de Souris, voudra manger des Rats.
Chacun dit : Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes.

Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes.

N’importe, rien n’arrête un si noble projet ;
Chacun se met en équipage ;
Chacun met dans son sac un morceau de fromage,
Chacun promet enfin de risquer le paquet.
Ils allaient tous comme à la fête,
L’esprit content, le cœur joyeux.
Cependant le Chat, plus fin qu’eux,
Tenait déjà la Souris par la tête.

Ils s’avancèrent à grands pas

Pour secourir leur bonne Amie.
Mais le Chat, qui n’en démord pas,
Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie.
…A ce bruit, nos très prudents Rats,
Craignant mauvaise destinée,
Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.
Chaque Rat rentre dans son trou;
Et si quelqu’un en sort, gare encore le Matou.

Jean de La Fontaine

La ligue des rats. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Louis-Honoré Fréchette – “Janvier”

“Janvier” de Louis-Honoré Fréchette

La tempête a cessé. L’éther vif et limpide
A jeté sur le fleuve un tapis d’argent clair,
Où l’ardent patineur à l’envol intrépide
Glisse, un reflet de flamme à son soulier de fer.

La promeneuse, loin de son boudoir tépide,
Bravant sous les peaux d’ours les morsures de l’air,
Au son des grelots d’or de son cheval rapide,
À nos yeux éblouis passe comme un éclair.

Et puis, pendant les nuits froidement idéales,
Quand, au ciel, des lambeaux d’aurores boréales
Battent de l’aile ainsi que d’étranges oiseaux,

Dans les salons ambrés, nouveaux temples d’idoles,
Aux accords de l’orchestre, au feu des girandoles,
Le quadrille joyeux déroule ses réseaux.

Louis-Honoré Fréchette, Les oiseaux des neiges, 1878