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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°39 – Le Lion, le Loup et le Renard

Le Lion, le Loup et le Renard

Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,

Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.

Dans les visites qui sont faites

Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le Loup lui faisait cette affaire :

Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère,
Ne m’ait à mépris imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage ;
Et m’acquittais d’un vœu fait pour votre santé.

Même j’ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite :
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.

Messire Loup vous servira,
S’il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa ;
Et de sa peau s’enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.

Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.

 

Jean de La Fontaine Livre VIII, fable 3

Le lion, le loup et le renard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°38 – Le Cheval et le Loup

Le Cheval et le Loup

Un certain loup, dans la saison

Quel les tièdes zéphyrs ont l’herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maisons
Pour s’en aller chercher leur vie,
Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’hiver,
Aperçut un cheval qu’on avait mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.
« Bonne chasse, dit-il, qui l’aurait à son croc !
Eh ! que n’es-tu mouton ! car tu me serais hoc,
Au lieu qu’il faut ruser pour avoir cette proie.

Rusons donc. » Ainsi dit, il vient à pas comptés ?

Se dit écolier d’Hippocrate ;
Qu’il connaît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés ;
Qu’il sait guérir, sans qu’il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si dom Coursier voulait
Ne point celer sa maladie,
Lui loup gratis le guérirait ;
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi, sans être lié,
Témoignait quelque mal, selon la médecine.

« J’ai, dit la bête chevaline,

Une apostume sous le pied.
– Mon fils, dit le docteur, il n’est point de partie
Susceptible de tant de maux.
J’ai l’honneur de servir nos seigneurs les Chevaux,
Et fais aussi la chirurgies. »
Mon galant ne songeait qu’à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.
L’autre, qui s’en doutait, lui lâche une ruade,
Qui vous lui met en marmelade
Les mandibules et les dents.

« C’est bien fait, dit le loup en soi-même fort triste ;

Chacun à son métier doit toujours s’attacher.
Tu veux faire ici l’arboriste,
Et ne fus jamais que boucher. »

Jean de La Fontaine Livre V, fable 16

Le cheval et le loup. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°37 – Le Loup, la Mère et l’Enfant

Le Loup, la Mère et l’Enfant

Ce loup me remet en mémoire

Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris :
Il y périt. Voici l’histoire :

Un villageois avait à l’écart son logis.

Messer loup attendait chape-chute à la porte :
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
Veaux de lait, agneaux et brebis,
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier :
La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s’il ne se tait,
De le donner au loup. L’animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d’une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit : « Ne criez point ; s’il vient, nous le tuerons.

– Qu’est ceci ? s’écria le mangeur de moutons :

Dire d’un, puis d’un autre ! Est-ce ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moi ? me prend-on pour un sot ?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noisette ! »
Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l’arrête ; épieux et fourches-fières
L’ajustent de toutes manières.
« Que veniez-vous chercher en ce lieu ? » lui dit-on.
Aussitôt il conta l’affaire.
« Merci de moi ! lui dit la mère ;
Tu mangeras mon fils ! L’ai-je fait à dessein
Qu’il assouvisse un jour ta faim ? »
On assomma la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit et la tête :

Le seigneur du village à sa porte les mit ;
Et ce dicton picard à l’entour fut écrit :

« Biaux chires leups, n’écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie. »

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 16

Le loup, la mère et l’enfant. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Gazette de Soracha n° 8 – Louise de La Vallière

Louise de la Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière, première maîtresse de Louis XIV, est morte le 6 juin 1710.

« C’était une petite violette qui se cachait sous l’herbe, et qui était honteuse d’être maîtresse, d’être mère, d’être duchesse. Jamais il n’y en aura sur ce moule-là » (Mme de Sévigné).

Louise de la Valliere

Jean Nocret, Louise de la Vallière.

Résumé. – En juillet 1661, Louise de La Baume Le Blanc devient, à 17 ans, la maîtresse du roi. Louise est follement éprise de Louis : « elle ne songeait qu’à être aimé du roi et à l’aimer » (Mme de La Fayette). Après la mort de la reine-mère Anne d’Autriche, en 1666, elle devient la maîtresse officielle de Louis XIV. Puis son prestige diminue et, de 1667 à 1674, la jeune femme se voit contrainte de partager son titre de favorite du roi avec Madame de Montespan qui l’a supplantée auprès du roi. Le 3 juin 1674, Louise entre au Carmel de l’Incarnation et devient, l’année suivante, sœur Louise de la Miséricorde. Elle s’éteint le 6 juin 1710 après 35 ans de vie religieuse.

 

 

Une jeunesse heureuse.- Françoise-Louise, appelée Louise, est née à Tours le 6 août 1644 dans une famille de petite noblesse. Elle passe son enfance à Reugny dans la campagne tourangelle où elle reçoit une éducation soignée. Après le décès de son père en 1651, sa mère se remarie avec le premier maître d’hôtel de Gaston d’Orléans. Après avoir passé sa vie à comploter contre son frère Louis XIII et à attiser la fronde contre son neveu Louis XIV, Gaston d’Orléans, s’est installé à Blois dans une retraite-exil. Une petite cour s’est formée autour de son épouse Marguerite de Lorraine et de ses trois filles, Marguerite-Louise d’Orléans, Elisabeth dite Melle d’Alençon, et Françoise-Madeleine dite Melle de Valois. Parmi les demoiselles d’honneur, Louise de La Vallière apprend les bonnes manières et parfait son éducation.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°36 – Le Loup, la Chèvre et le Chevreau

Le Loup, la Chèvre et le Chevreau

La bique allant remplir sa traînante mamelle,

Et paître l’herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet :
« Gardez-vous, sur votre vie,
D’ouvrir que l’on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet :
Foin du loup et de sa race ! »

Comme elle disait ces mots,

Le loup de fortune passe ;
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.
La bique, comme on peut croire,
N’avait pas vu le glouton.
Dès qu’il la voit partie, il contrefait son ton,
Et d’une voix papelarde
Il demande qu’on ouvre en disant: « Foin du loup ! »

Et croyant entrer tout d’un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
« Montrez-moi patte blanche, ou je n’ouvrirai point, »
S’écria-t-il d’abord. (Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.)
Celui-ci, fort surpris d’entendre ce langage,
Comme il était venu s’en retourna chez soi.
Où serait le biquet s’il eût ajouté foi
Au mot du guet, que de fortune
Notre loup avait entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu’une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 15

Le loup, la chèvre et le chevreau. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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La Gazette de Soracha – n°7 – Madeleine de Scudéry

Madeleine de Scudéry est morte le 2 juin 1701

Madeleine de Scudéry, Ecole française, Bibliotheque Municipale, Le Havre.

“L’amour est un je-ne-sais-quoi, qui vient je-ne-sais-où et qui finit je-ne-sais-quand”.

Résumé. – Madeleine de Scudéry est une grande dame de la littérature française du XVIIe siècle, auteur du Grand Cyrus et de Clélie, deux best-sellers à l’époque. « La reine des précieuses », « nouvel oracle de la galanterie » (évêque Antoine Godeau), « institutrice des mœurs » (Sainte-Beuve), Madeleine de Scudéry est l’une des premières femmes de lettres modernes. Décrite comme « l’Universelle » par ses contemporains italiens, admirée par La Fontaine et par Leibniz, Madeleine de Scudéry n’est nullement « une femme sottement savante » comme les caricature Molière dans Les Précieuses ridicules (1659) et Les Femmes savantes (1672).

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Dominique Sagne – “Juin”

“Juin” Dominique Sagne

Ce sacré petit mois de Juin
Couvert des couleurs d’arlequin,
Nous conduit vers l’été, doucement,
Allongeant les jours discrètement.

Les averses, fréquentes, nettoient la nature
Et laissent, derrière elles, un ciel d’azur.
Exaltant, des parfums enivrants
Dans un univers transparent.

Et, pourtant l’on sait sans aucun doute
Que, quand Saint Barnabé, sous la céleste voûte
Coupe le pied de ce pauvre Saint Médard
L’été somnolent n’est jamais en retard.

Et sous un soleil chaud et éclatant
En ce dernier mois du printemps
S’épanouie, la fête de la musique
Nous entraînant, dans une ronde magnifique.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°35 – La Fille

La Fille 

Certaine fille un peu trop fière

Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait et beau, d’agréable manière.
Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait aussi
Qu’il eût du bien, de la naissance,
De l’esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?

Le destin se montra soigneux de la pourvoir :

Il vint des partis d’importance.
La belle les trouva trop chétifs de moitié.
Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l’on radote, je pense.
A moi les proposer ! hélas ils font pitié.
Voyez un peu la belle espèce !
L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse ;
L’autre avait le nez fait de cette façon-là ;
C’était ceci, c’était cela,
C’était tout ; car les précieuses
Font dessus tous les dédaigneuses.

Après les bons partis, les médiocres gens

Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte : Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne.
Grâce à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude.

La belle se sut gré de tous ces sentiments.

L’âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe et deux avec inquiétude.
Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l’amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu’elle échappât au temps cet insigne larron :
Les ruines d’une maison
Se peuvent réparer ; que n’est cet avantage
Pour les ruines du visage !

Sa préciosité changea lors de langage.

Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi ;
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu’on n’aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.

Jean de La Fontaine Livre VII, fable 5

La fille. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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La Gazette de Soracha – n°6 : La Grande Mademoiselle

29 mai 1627 : naissance d’Anne Louise Marie d’Orléans – La Grande Mademoiselle.

 

La Grande Mademoiselle, par Gilbert Sève, vers 1640.

Désirée par ses parents – Gaston d’Orléans et Marie de Bourbon -, Anne-Marie-Louise d’Orléans naît le 29 mai 1627 au Louvre. Sept jours plus tard, sa mère décède ; la petite fille hérite de l’immense fortune des Montpensier, composée de « la souveraineté de Dombes, la principauté de la Roche-sur-Yon, les duchés de Montpensier, de Châtellerault et de Saint-Fargeau, avec plusieurs autres belles terres portant titres de marquisats, comtés, vicomtés et baronnies, et quelques rentes constituées sur le roi et sur plusieurs particuliers, le tout faisant 330 000 livres de rentes ».

Petite-fille d’Henri IV et de Marie de Médicis, nièce de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, la fillette est l’une des princesses les plus riches d’Europe.

« On fit ma maison et l’on me donna un équipage bien plus grand que n’en a jamais eu aucune fille de France. »(Mémoires).
« Le 17e, Mademoiselle, âgée de neuf ans et trois mois, fut baptisée au Louvre, dans la chambre de la reine, par l’évêque d’Auxerre, premier aumônier du roi ; ayant pour marraine et parrain la reine et le cardinal-duc et fut nommée Anne-Marie » (Gazette, 17 juillet 1936).

Enfant gâtée, la petite fille, jolie et délurée, apprend à lire, à écrire, à danser, à faire la révérence et à observer les règles de l’étiquette.

Le 5 septembre 1638, Anne d’Autriche accouche d’un garçon – le futur Louis XIV – ; Anne-Marie a onze ans et se voit déjà l’épouse de son cousin germain qu’elle appelle “son petit mari”, comme le lui a répété sa tante : « vous serez ma belle-fille ».

La naissance de Monseigneur le Dauphin, me donna une occupation nouvelle : je l’allais voir tous les jours et je l’appelais mon petit mari ; le roi s’en divertissait et trouvait bon tout ce que je faisais. Le cardinal de Richelieu qui ne voulait pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumât à moi, me fit ordonner de retourner à Paris ; la reine et Mme de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le roi et la reine. (Mémoires).

Les années passent. Titrée la Grande Mademoiselle – en raison du titre de son père, Grand Monsieur –, Anne-Marie d’Orléans a comme principale préoccupation pour « une personne de sa qualité » de savoir si son époux sera roi, prince ou de haute noblesse. Très portée sur le respect dû à son rang et à l’étiquette, elle se demande quelles femmes auront le droit de s’asseoir devant elle, sur des sièges à bras ou de simples pliants. Ni le duc de Savoie, ni le prince de Galles, pas davantage le prince de Lorraine ne trouvent grâce à ses yeux. Jean de La Fontaine pense-t-il à la Grande Mademoiselle lorsqu’il écrit la fable La Fille en 1678 ?

Petite-fille de France, la Grande Mademoiselle prend le parti de son père Gaston d’Orléans contre le roi et participe ouvertement à « l’hydre de la rébellion » – la Fronde -. Elle entre par surprise dans Orléans : « c’est un coup qui n’appartient qu’à vous, et qui est de la dernière importance » lui dit le prince de Condé. Le 2 juillet 1652, elle fait tirer les canons de la Bastille sur les troupes royales et sauve le prince de Condé qu’elle espère épouser. Exilée par Louis XIV dans son château de Saint-Fargeau, la Grande Mademoiselle entreprend la rédaction de ses Mémoires et gère seule ses affaires.

« Qui m’aurait dit, du temps que j’étais à la Cour, que j’aurais su combien coûte la brique, la chaux, le plâtre, les voitures, les journées des ouvriers, enfin tous les détails d’un bâtiment, et que tous les samedis j’aurais arrêté leurs comptes ; cela m’aurait bien surpris. » ( Mémoires)
Revenue en cour en 1657, la Grande Mademoiselle tient tête à son royal cousin pour refuser d’épouser le roi du Portugal que Louis XIV lui destine. Ce qui lui vaut un nouvel exil de plusieurs années dans ses terres du château d’Eu en Normandie, au cours duquel elle poursuit la rédaction de ses Mémoires.

Elle y raconte ainsi qu’elle a accueilli « Baptiste » – Jean-Baptiste Lulli – à son arrivée en France vers 1645 : « il était venu en France avec feu mon oncle le chevalier de Guise … je l’avais prié de m’amener un Italien pour que je pusse parler avec lui, l’apprenant lors […] Je fus exilée [après la Fronde] ; il ne voulut pas demeurer à la campagne ; il me demanda son congé ; je le lui donnai, et depuis, il a fait fortune ; c’est un grand baladin ».

Les années passent, la Grande Mademoiselle n’est toujours pas mariée. Elle écrit à propos du mariage :

« Tirons-nous de l’esclavage ; qu’il y ait un coin du monde où l’on puisse dire que les femmes sont maîtresses d’elles-mêmes ».
En juin 1664, elle écrit à Louis XIV pour le féliciter sur la grossesse de la reine. Le roi a pardonné, mais n’a pas oublié que sa cousine a été une frondeuse. Il accepte qu’elle revienne à la cour ; elle s’empresse d’arriver à Fontainebleau. Toute la cour va à sa rencontre ; Mademoiselle arrive toute auréolée de la gloire d’avoir tenu tête au roi. « Avouez que vous vous êtes fort ennuyée ? » lui demande le roi. « Je vous assure que non, et je pensais souvent : on est bien attrapé à la Cour si l’on croit me mortifier car je ne m’ennuie pas un moment ».

Mais à 37 ans, la Grande Mademoiselle n’est plus, pour la nouvelle génération, que « la vieille Mademoiselle. » (Abbé de Choisy)

En juin 1670, un parti prestigieux se présente : Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, perd son épouse, Henriette d’Angleterre, âgée de 26 ans. « Madame se meurt, Madame est morte », l’oraison funèbre de la jeune femme est prononcée par Bossuet dans la Basilique Saint-Denis.

« Ma cousine, voilà une place vacante : la voulez-vous remplir ? – Je devins pâle comme la mort, et je lui dis : « vous êtes le maître, je n’aurai jamais de volonté que la vôtre. » Il me pressa ; je lui dis : « Je n’ai rien à dire que cela. – Mais y avez-vous de l’aversion ? » Je ne dis rien ; il me dit : « J’y travaillerai et je vous en rendrai compte. » (Mémoires)

Pourquoi ce refus ? C’est qu’à 43 ans, Anne-Marie est tombée follement amoureuse d’Antonin Nompart de Caumont, marquis de Puyguilhem, comte de Lauzun, de six ans son cadet, une figure de « chat écorché » (Saint-Simon), des cheveux de filasse, « un des plus petits hommes … que Dieu ait jamais faits » (Bussy-Rabutin), « le plus insolent petit homme qu’on eut vu depuis un siècle » (Marquis de La Fare) dont La Bruyère a dit : « On ne rêve point comme il a vécu ». Mais l’amour rend aveugle :

« C’est un petit homme ; personne ne saurait dire qu’il n’ait pas la taille la plus droite, la plus jolie et la plus agréable. Les jambes sont belles ; un bon air à tout ce qu’il fait ; peu de cheveux, blonds mais fort mêlés de gris, mal peignés et souvent gras ; de beaux yeux bleus, mais quasi toujours rouges ; un air fin, une jolie mine. Son sourire plaît. Le bout du nez pointu, rouge ; quelque chose d’élevé dans la physionomie ; fort négligé ; quand il lui plaît d’être ajusté, il est fort bien. Voilà l’homme. […] Pour son humeur et ses manières, je défie de les connaître, de les dire, ni de les copier […] Enfin, il m’a plu ; je l’aime passionnément. » (Mémoires).

Louis XIV donne son accord au mariage de la duchesse de Montpensier avec le comte de Lauzun, « simple gentilhomme qualifié ». Ayant appris la nouvelle, la Marquise de Sévigné écrit à sa fille le 15 décembre 1670 :

« Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’à aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie … »

La cour au contraire est scandalisée par cette mésalliance et Louis XIV se voit contraint de revenir sur sa parole. Se marient-ils secrètement ? Arrêté en 1671, Lauzun est enfermé dix ans à Pignerol. La Grande Mademoiselle le fait libérer en échange du don de sa principauté de Dombes au duc du Maine, fils naturel de Louis XIV. En 1684, ils se séparent.

Le 15 mars 1693, la Grande Mademoiselle est prise « d’une maladie de vessie » ; Monsieur et Madame viennent la soigner. Elle s’éteint le 5 avril 1693, léguant le château de Saint-Fargeau à Lauzun et la plus grande partie de ses biens à Monsieur, frère du roi.

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°34 – Le Loup et les Brebis

Le Loup et les Brebis

Après mille ans et plus de guerre déclarée,

Les Loups firent la paix avecque les Brebis.
C’était apparemment le bien des deux partis ;
Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée,
Les Bergers de leur peau se faisaient maints habits.

Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d’autre part pour les carnages :
Ils ne pouvaient jouir qu’en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des otages ;
Les Loups, leurs Louveteaux ; et les Brebis, leurs Chiens.

L’échange en étant fait aux formes ordinaires

Et réglé par des Commissaires,
Au bout de quelque temps que Messieurs les Louvats
Se virent Loups parfaits et friands de tuerie,
lls vous prennent le temps que dans la Bergerie
Messieurs les Bergers n’étaient pas,
Etranglent la moitié des Agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.

Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant :
Cela fut sitôt fait qu’à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu’il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi,
J’en conviens ; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi ?

Jean de La Fontaine Livre III, fable 13 

 

Le Loup et les Brebis. J-B Oudry. Source gallica.bnf.fr / BnF