29 mai 1627 : naissance d’Anne Louise Marie d’Orléans – La Grande Mademoiselle.
Désirée par ses parents – Gaston d’Orléans et Marie de Bourbon -, Anne-Marie-Louise d’Orléans naît le 29 mai 1627 au Louvre. Sept jours plus tard, sa mère décède ; la petite fille hérite de l’immense fortune des Montpensier, composée de « la souveraineté de Dombes, la principauté de la Roche-sur-Yon, les duchés de Montpensier, de Châtellerault et de Saint-Fargeau, avec plusieurs autres belles terres portant titres de marquisats, comtés, vicomtés et baronnies, et quelques rentes constituées sur le roi et sur plusieurs particuliers, le tout faisant 330 000 livres de rentes ».
Petite-fille d’Henri IV et de Marie de Médicis, nièce de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, la fillette est l’une des princesses les plus riches d’Europe.
« On fit ma maison et l’on me donna un équipage bien plus grand que n’en a jamais eu aucune fille de France. »(Mémoires).
« Le 17e, Mademoiselle, âgée de neuf ans et trois mois, fut baptisée au Louvre, dans la chambre de la reine, par l’évêque d’Auxerre, premier aumônier du roi ; ayant pour marraine et parrain la reine et le cardinal-duc et fut nommée Anne-Marie » (Gazette, 17 juillet 1936).
Enfant gâtée, la petite fille, jolie et délurée, apprend à lire, à écrire, à danser, à faire la révérence et à observer les règles de l’étiquette.
Le 5 septembre 1638, Anne d’Autriche accouche d’un garçon – le futur Louis XIV – ; Anne-Marie a onze ans et se voit déjà l’épouse de son cousin germain qu’elle appelle “son petit mari”, comme le lui a répété sa tante : « vous serez ma belle-fille ».
La naissance de Monseigneur le Dauphin, me donna une occupation nouvelle : je l’allais voir tous les jours et je l’appelais mon petit mari ; le roi s’en divertissait et trouvait bon tout ce que je faisais. Le cardinal de Richelieu qui ne voulait pas que je m’y accoutumasse ni qu’on s’accoutumât à moi, me fit ordonner de retourner à Paris ; la reine et Mme de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l’obtenir, dont j’eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le roi et la reine. (Mémoires).
Les années passent. Titrée la Grande Mademoiselle – en raison du titre de son père, Grand Monsieur –, Anne-Marie d’Orléans a comme principale préoccupation pour « une personne de sa qualité » de savoir si son époux sera roi, prince ou de haute noblesse. Très portée sur le respect dû à son rang et à l’étiquette, elle se demande quelles femmes auront le droit de s’asseoir devant elle, sur des sièges à bras ou de simples pliants. Ni le duc de Savoie, ni le prince de Galles, pas davantage le prince de Lorraine ne trouvent grâce à ses yeux. Jean de La Fontaine pense-t-il à la Grande Mademoiselle lorsqu’il écrit la fable La Fille en 1678 ?
Petite-fille de France, la Grande Mademoiselle prend le parti de son père Gaston d’Orléans contre le roi et participe ouvertement à « l’hydre de la rébellion » – la Fronde -. Elle entre par surprise dans Orléans : « c’est un coup qui n’appartient qu’à vous, et qui est de la dernière importance » lui dit le prince de Condé. Le 2 juillet 1652, elle fait tirer les canons de la Bastille sur les troupes royales et sauve le prince de Condé qu’elle espère épouser. Exilée par Louis XIV dans son château de Saint-Fargeau, la Grande Mademoiselle entreprend la rédaction de ses Mémoires et gère seule ses affaires.
« Qui m’aurait dit, du temps que j’étais à la Cour, que j’aurais su combien coûte la brique, la chaux, le plâtre, les voitures, les journées des ouvriers, enfin tous les détails d’un bâtiment, et que tous les samedis j’aurais arrêté leurs comptes ; cela m’aurait bien surpris. » ( Mémoires)
Revenue en cour en 1657, la Grande Mademoiselle tient tête à son royal cousin pour refuser d’épouser le roi du Portugal que Louis XIV lui destine. Ce qui lui vaut un nouvel exil de plusieurs années dans ses terres du château d’Eu en Normandie, au cours duquel elle poursuit la rédaction de ses Mémoires.
Elle y raconte ainsi qu’elle a accueilli « Baptiste » – Jean-Baptiste Lulli – à son arrivée en France vers 1645 : « il était venu en France avec feu mon oncle le chevalier de Guise … je l’avais prié de m’amener un Italien pour que je pusse parler avec lui, l’apprenant lors […] Je fus exilée [après la Fronde] ; il ne voulut pas demeurer à la campagne ; il me demanda son congé ; je le lui donnai, et depuis, il a fait fortune ; c’est un grand baladin ».
Les années passent, la Grande Mademoiselle n’est toujours pas mariée. Elle écrit à propos du mariage :
« Tirons-nous de l’esclavage ; qu’il y ait un coin du monde où l’on puisse dire que les femmes sont maîtresses d’elles-mêmes ».
En juin 1664, elle écrit à Louis XIV pour le féliciter sur la grossesse de la reine. Le roi a pardonné, mais n’a pas oublié que sa cousine a été une frondeuse. Il accepte qu’elle revienne à la cour ; elle s’empresse d’arriver à Fontainebleau. Toute la cour va à sa rencontre ; Mademoiselle arrive toute auréolée de la gloire d’avoir tenu tête au roi. « Avouez que vous vous êtes fort ennuyée ? » lui demande le roi. « Je vous assure que non, et je pensais souvent : on est bien attrapé à la Cour si l’on croit me mortifier car je ne m’ennuie pas un moment ».
Mais à 37 ans, la Grande Mademoiselle n’est plus, pour la nouvelle génération, que « la vieille Mademoiselle. » (Abbé de Choisy)
En juin 1670, un parti prestigieux se présente : Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, perd son épouse, Henriette d’Angleterre, âgée de 26 ans. « Madame se meurt, Madame est morte », l’oraison funèbre de la jeune femme est prononcée par Bossuet dans la Basilique Saint-Denis.
« Ma cousine, voilà une place vacante : la voulez-vous remplir ? – Je devins pâle comme la mort, et je lui dis : « vous êtes le maître, je n’aurai jamais de volonté que la vôtre. » Il me pressa ; je lui dis : « Je n’ai rien à dire que cela. – Mais y avez-vous de l’aversion ? » Je ne dis rien ; il me dit : « J’y travaillerai et je vous en rendrai compte. » (Mémoires)
Pourquoi ce refus ? C’est qu’à 43 ans, Anne-Marie est tombée follement amoureuse d’Antonin Nompart de Caumont, marquis de Puyguilhem, comte de Lauzun, de six ans son cadet, une figure de « chat écorché » (Saint-Simon), des cheveux de filasse, « un des plus petits hommes … que Dieu ait jamais faits » (Bussy-Rabutin), « le plus insolent petit homme qu’on eut vu depuis un siècle » (Marquis de La Fare) dont La Bruyère a dit : « On ne rêve point comme il a vécu ». Mais l’amour rend aveugle :
« C’est un petit homme ; personne ne saurait dire qu’il n’ait pas la taille la plus droite, la plus jolie et la plus agréable. Les jambes sont belles ; un bon air à tout ce qu’il fait ; peu de cheveux, blonds mais fort mêlés de gris, mal peignés et souvent gras ; de beaux yeux bleus, mais quasi toujours rouges ; un air fin, une jolie mine. Son sourire plaît. Le bout du nez pointu, rouge ; quelque chose d’élevé dans la physionomie ; fort négligé ; quand il lui plaît d’être ajusté, il est fort bien. Voilà l’homme. […] Pour son humeur et ses manières, je défie de les connaître, de les dire, ni de les copier […] Enfin, il m’a plu ; je l’aime passionnément. » (Mémoires).
Louis XIV donne son accord au mariage de la duchesse de Montpensier avec le comte de Lauzun, « simple gentilhomme qualifié ». Ayant appris la nouvelle, la Marquise de Sévigné écrit à sa fille le 15 décembre 1670 :
« Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’à aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie … »
La cour au contraire est scandalisée par cette mésalliance et Louis XIV se voit contraint de revenir sur sa parole. Se marient-ils secrètement ? Arrêté en 1671, Lauzun est enfermé dix ans à Pignerol. La Grande Mademoiselle le fait libérer en échange du don de sa principauté de Dombes au duc du Maine, fils naturel de Louis XIV. En 1684, ils se séparent.
Le 15 mars 1693, la Grande Mademoiselle est prise « d’une maladie de vessie » ; Monsieur et Madame viennent la soigner. Elle s’éteint le 5 avril 1693, léguant le château de Saint-Fargeau à Lauzun et la plus grande partie de ses biens à Monsieur, frère du roi.