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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°67 – Le Chien qui porte au cou le dîné de son maître

Le Chien qui porte au cou le dîné de son maître

Nous n’avons pas les yeux à l’épreuve des belles,

Ni les mains à celle de l’or :
Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.
Certain Chien, qui portait la pitance au logis,
S’était fait un collier du dîné de son maître.
Il était tempérant plus qu’il n’eût voulu l’être
Quand il voyait un mets exquis :
Mais enfin il l’était et tous tant que nous sommes
Nous nous laissons tenter à l’approche des biens.

Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,

Et l’on ne peut l’apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné,
Un mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n’en eut pas toute la joie
Qu’il espérait d’abord : le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux n’en étant plus chargé.
Grand combat : D’autres chiens arrivent ;
Ils étaient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups.

Notre Chien se voyant trop faible contre eux tous,

Et que la chair courait un danger manifeste,
Voulut avoir sa part ; Et lui sage : il leur dit :
Point de courroux, Messieurs, mon lopin me suffit :
Faites votre profit du reste.
A ces mots le premier il vous happe un morceau.
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille ;
A qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille ;
Chacun d’eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l’image d’une Ville,

Où l’on met les deniers à la merci des gens.
Echevins, Prévôt des Marchands,
Tout fait sa main : le plus habile
Donne aux autres l’exemple ; Et c’est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux par des raisons frivoles
Veut défendre l’argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu’il est un sot.
Il n’a pas de peine à se rendre :
C’est bientôt le premier à prendre.

Jean de La Fontaine Livre VIII, fable 7

Le chien qui porte au cou le diné de son maitre. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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François Coppée – “Mois de Janvier”

“Mois de Janvier” François Coppée

Songes-tu parfois, bien-aimée,
Assise près du foyer clair,
Lorsque sous la porte fermée
Gémit la bise de l’hiver,

Qu’après cette automne clémente,
Les oiseaux, cher peuple étourdi,
Trop tard, par un jour de tourmente,
Ont pris leur vol vers le Midi ;

Que leurs ailes, blanches de givre,
Sont lasses d’avoir voyagé ;
Que sur le long chemin à suivre
Il a neigé, neigé, neigé ;

Et que, perdus dans la rafale,
Ils sont là, transis et sans voix,
Eux dont la chanson triomphale
Charmait nos courses dans les bois ?

Hélas ! comme il faut qu’il en meure
De ces émigrés grelottants !
Y songes-tu ? Moi, je les pleure,
Nos chanteurs du dernier printemps.

Tu parles, ce soir où tu m’aimes,
Des oiseaux du prochain Avril ;
Mais ce ne seront plus les mêmes,
Et ton amour attendra-t-il ?

François Coppée 1842 – 1908

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°66 – Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre

Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre

Chacun se trompe ici-bas :
On voit courir après l’ombre
Tant de fous, qu’on n’en sait pas
La plupart du temps le nombre.
Au Chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.
Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer ;
La rivière devint tout d’un coup agitée.
À toute peine il regagna les bords,
Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

Jean de La Fontaine Livre VI, fable 17

Le chien qui lâche sa proie pour l’ombre. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°65 – L’âne et le petit Chien

L’Ane et le petit Chien

Ne forçons point notre talent,

Nous ne ferions rien avec grâce :
Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse,
Ne saurait passer pour galant.
Peu de gens, que le Ciel chérit et gratifie,
Ont le don d’agréer infus avec la vie.
C’est un point qu’il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l’Ane de la Fable,
Qui pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.

“Comment ? disait-il en son âme,

Ce Chien, parce qu’il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec Madame ;
Et j’aurai des coups de bâton ?
Que fait-il ? il donne la patte ;
Puis aussitôt il est baisé :
S’il en faut faire autant afin que l’on me flatte,
Cela n’est pas bien malaisé. ”

Dans cette admirable pensée,

Voyant son Maître en joie, il s’en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
“Oh ! oh ! quelle caresse ! et quelle mélodie !
Dit le Maître aussitôt. Holà, Martin bâton! ”
Martin bâton accourt ; l’Ane change de ton.
Ainsi finit la comédie.

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 5

L’ane et le petit chien. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°64 – La Cour du Lion

La Cour du Lion

Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître

De quelles nations le Ciel l’avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l’ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.

Par ce trait de magnificence

Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur :

Il n’était ambre, il n’était fleur,

Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encore punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? dis-le-moi : parle sans déguiser.
L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s’en tire.

Ceci vous sert d’enseignement :

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

Jean de La Fontaine Livre VII, fable 7

La cour du lion. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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Une pièce de théâtre : La nostalgie des blattes de Pierre Notte

Un spectacle exceptionnel!

Bat, Le Rat et Pompona sont allés voir La nostalgie des blattes de Pierre Notte au Théâtre du Petit-Saint-Martin et ont beaucoup aimé. Bat vous raconte.

Blatte sur parquet

Une blatte sur un parquet. ©Le Rat/Soracha

Un excellent texte de Pierre Notte ; deux immenses comédiennes, Catherine Hiegel et Tania Torrens, assises, face au public. Un plateau nu, aucun décor. Telle est la magie du théâtre. Une heure et des poussières plus tard, le spectateur ressort, enchanté.
Non ! La vieillesse n’est pas nécessairement un naufrage!

De poussière, il n’en est plus question dans le monde où « vivent » ces deux vieilles. Un monde sans gluten, ni détritus, ni champignons, ni moucherons, ni sucre ; un monde aseptisé, blanc, idéalisé, surveillé par une brigade sanitaire et des engins volants qui s’écrasent régulièrement autour d’elles. Alors les deux vieilles se souviennent du goût du pain, du miel, des guêpes sur la confiture, des pigeons, des rats … jusqu’avoir la nostalgie des blattes. C’est tout dire !

Mais que font-elles ? Assises côte à côte, proches, mais pas trop, elles attendent. Qui ? Godot … Non, plutôt le client, quelqu’un qui viendrait voir ces deux femmes qui ont vieilli sans recourir aux interventions chirurgicales et qui sont là. La description du visage avachi, les poches sous les yeux, les joues creuses, est un moment d’anthologie. Tout y passe ! Sauf le nez, resté intact et bien droit ! Beckett, Gogol … L’absurde et le grotesque accompagnent le spectateur pour sa plus grande joie !

Alors que font-elles ? Elles discutent, se disputent, échangent, s’opposent, toujours assises sur leurs chaises, du début à la fin de la pièce. Le spectateur écoute, rit, tantôt de bon cœur, tantôt jaune, apprécie le texte féroce, se laisse charmé – voire envouté – par le ton juste, la diction parfaite, l’émotion maîtrisée de ces deux extraordinaires comédiennes. A plus de 70 ans, Catherine Hiegel et Tania Torrens nous donnent une merveilleuse leçon de vie !

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°63 – Les animaux malades de la peste

Les animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

On n’en voyait point d’occupés
A chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie.
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.

Les Tourterelles se fuyaient ;

Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : “Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.

L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents

On fait de pareils dévouements.
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J’ai dévoré force moutons.

Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense.

Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.

– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non: vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant beaucoup d’honneur;
Et quant au Berger, l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.”

Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.

On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun étaient de petits saints.

L’âne vint à son tour et dit : “J’ai souvenance

Qu’en un pré de moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.

A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n’était capable

D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine Livre VII, fable 1

Les animaux malades de la peste. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°62 – Le Pâtre et le Lion

Le Pâtre et le Lion

Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être ;

Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire ;
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.

Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé ;

Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit, et se pique
D’une élégance laconique ;
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un chasseur, l’autre un pâtre, en sa fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.

Voici comme, à peu près, Ésope le raconte :

Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux :
« Si tu fais, disait-il, ô monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande. »

À ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort ;

Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
« Que l’homme ne sait guère, hélas ! ce qu’il demande !
Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô monarque des Dieux, je t’ai promis un veau :
Je te promets un boeuf si tu fais qu’il s’écarte.
C’est ainsi que l’a dit le principal auteur :
Passons à son imitateur.

Jean de La Fontaine Livre VI, fable 1

Le pâtre et le lion. G. Doré Source gallica .bnf.fr/BnF

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François Coppée – “Décembre”

“Décembre” François Coppée

Le hibou parmi les décombres
Hurle, et Décembre va finir ;
Et le douloureux souvenir
Sur ton coeur jette encor ses ombres.

Le vol de ces jours que tu nombres,
L’aurais-tu voulu retenir ?
Combien seront, dans l’avenir,
Brillants et purs ; et combien, sombres ?

Laisse donc les ans s’épuiser.
Que de larmes pour un baiser,
Que d’épines pour une rose !

Le temps qui s’écoule fait bien ;
Et mourir ne doit être rien,
Puisque vivre est si peu de chose.

François Coppée 1842 – 1908

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°61 – Tribut envoyé par les animaux à Alexandre

Tribut envoyé par les animaux à Alexandre

Une fable avait cours parmi l’Antiquité,

Et la raison ne m’en est pas connue.
Que le lecteur en tire une moralité :
Voici la fable toute nue.

La Renommée ayant dit en cent lieux

Qu’un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux,
Commandait que sans plus attendre,
Tout peuple à ses pieds s’allât rendre,
Quadrupèdes, Humains, Éléphants, Vermisseaux,
Les Républiques des oiseaux ;
La déesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis partout la terreur
En publiant l’édit du nouvel Empereur,
Les animaux, et toute espèce lige
De son seul appétit, crurent que cette fois
Il fallait subir d’autres lois.

On s’assemble au désert. Tous quittent leur tanière.

Après divers avis, on résout, on conclut
D’envoyer hommage et tribut.
Pour l’hommage et pour la manière,
Le singe en fut chargé : l’on lui mit par écrit
Ce que l’on voulait qui fût dit.
Le seul tribut les tint en peine.
Car que donner ? il fallait de l’argent.
On en prit d’un prince obligeant,
Qui possédant dans son domaine
Des mines d’or fournit ce qu’on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le Mulet et l’Ane s’offrirent,
Assistés du Cheval ainsi que du Chameau.

Tous quatre en chemin ils se mirent,

Avec le Singe, Ambassadeur nouveau.
La caravane enfin rencontre en un passage
Monseigneur le Lion. Cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, et nous voici compagnons de voyage.
J’allais offrir mon fait à part ;
Mais bien qu’il soit léger, tout fardeau m’embarrasse.
Obligez-moi de me faire la grâce
Que d’en porter chacun un quart.

Ce ne vous sera pas une charge trop grande ;

Et j’en serai plus libre, et bien plus en état,
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l’on en vienne au combat.
Econduire un lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu,
Et, malgré le héros de Jupiter issu,
Faisant chère et vivant sur la bourse publique.

Ils arrivèrent dans un pré

Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré,
Où maint mouton cherchait sa vie :
Séjour du frais, véritable patrie
Des Zéphirs. Le lion n’y fut pas, qu’à ces Gens
Il se plaignit d’être malade.
Continuez votre ambassade,
Dit-il ; je sens un feu qui me brûle au dedans,
Et veux ici chercher quelque herbe salutaire.
Pour vous, ne perdez point de temps :
Rendez-moi mon argent ; j’en puis avoir affaire.

On déballe ; et d’abord le lion s’écria

D’un ton qui témoignait sa joie :
Que de filles, ô Dieux, mes pièces de monnoie
Ont produites ! Voyez : la plupart sont déjà
Aussi grandes que leurs mères.
Le croît m’en appartient. Il prit tout là-dessus ;
Ou bien s’il ne prît tout, il n’en demeura guères.
Le Singe et les Sommiers confus,
Sans oser répliquer en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu’ils se plaignirent,
Et n’en eurent point de raison.

Qu’eût-il fait ? C’eût été lion contre lion ;

Et le proverbe dit : Corsaires à Corsaires,
L’un l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires.

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 12

Tribut envoyé par les animaux à Alexandre

Tribut envoyé par les animaux à Alexandre. J.-B. Oudry. Source : gallica.bnf.fr/BnF