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La Gazette de Soracha n°2 : Jean de La Fontaine

Le 8 juillet 1621, Jean de La Fontaine est né

à Château-Thierry

« Monsieur de La Fontaine naquit à Château-Thierry en l’année 1621. Son père, maître des Eaux et Forêts de ce duché, le revêtit de sa charge dès qu’il fut capable de l’exercer, mais il y trouva si peu de goût, qu’il n’en fit la fonction, pendant plus de vingt années, que par complaisance. Il est vrai que son père eut pleine satisfaction sur une autre chose qu’il exigea de lui, qui fut qu’il s’appliquât à la poésie, car son fils y réussit au-delà de ce qu’il pouvait souhaiter.» (Charles Perrault).

 

Cabinet La Fontaine

Cabinet La Fontaine au château de Vaux-le-Vicomte. © Le Rat/ Soracha.

Jeunes années. – Après une enfance passée à Château-Thierry et des études dans un collège parisien, Jean de la Fontaine entre, en 1641, à la maison-mère de l’Oratoire, à Paris, pour étudier la théologie. Il abandonne au bout de quelques mois et repart à Château-Thierry. De retour à Paris en 1646, Jean étudie le droit et devient « avocat en la cour de Parlement ». Il fait partie de la « Table Ronde », une petite académie littéraire où se côtoie Pellisson, Furetière, Maucroix, Charpentier et Cassandre et rencontre Chapelain, les Tallemand, Antoine de La Sablière.

Mariage.- Le 10 novembre 1647, Jean de La Fontaine épouse une jeune fille de bonne famille, Marie Héricart, à La Ferté-Milon: Jean a 26 ans, Marie n’a pas encore 15 ans, mais elle apporte une dot de 1O000 livres. Mlle de La Fontaine – nom donné aux femmes mariée à des hommes non nobles – décide de tenir un salon à Château-Thierry, un temps fréquenté par son jeune cousin, Jean Racine. Très vite, La Fontaine s’ennuie auprès de son épouse :

« Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse,
Qui ne suis pas encor du naufrage essuyé,
Quitte à peine d’un voeu nouvellement payé.
Que faire? mon destin est tel qu’il faut que j’aime,
On m’a pourvu d’un cœur peu content de lui-même,
Inquiet, et fécond en nouvelles amours :
Il aime à s’engager, mais non pas pour toujours. » (Elégie deuxième)

Un fidèle de Fouquet. – A compter de 1659, Jean de La Fontaine reçoit une pension de Nicolas Fouquet.

« Monsieur Fouquet alors surintendant des Finances lui donna une pension, et lui fit beaucoup d’accueil ainsi qu’à ses ouvrages, dont il y en a plusieurs où il l’a loué très ingénieusement, et où les beautés de sa maison de Vaux-le-Vicomte sont dépeintes avec une grâce admirable. » (Charles Perrault)

Le Songe de Vaux est une féérie merveilleuse qui décrit les jardins et le château de Vaux. La Fontaine s’inspire de l’Hypnerotomachia Poliphili ou Le Songe de Poliphile, ouvrage attribué à Francesco Colonna, publié à Venise chez Alde Manuce en 1499. Connu en France par sa traduction de Jean Martin en 1546, Le Songe de Poliphile est lu et apprécié pendant tout le XVIIe siècle. Dans son avertissement publié en 1671, Jean de La Fontaine explique:

J’y consumai trois années. Il est depuis arrivé des choses qui m’ont empêché de continuer.[…] J’expose donc au public trois morceaux de cette description. […] Selon le jugement qu’on fera de ces trois morceaux, je me résoudrai : si la chose plaît, j’ai dessein de continuer; sinon, je n’y perdrai pas de temps davantage. Le temps est chose de peu de prix quand on ne s’en sert pas mieux que je fais; mais, puisque j’ai résolu de m’en servir, je dois reconnaître qu’à mon égard la saison de le ménager est tantôt venue.

Des choses qui m’ont empêché de continuer…“.- Le 17 août 1661, La Fontaine assiste à l’inoubliable fête donnée par le Surintendant Fouquet à Vaux-le-Vicomte et la relate dans une lettre à son ami Maucroix :

« Le roi [Louis XIV], la reine mère [Anne d’Autriche], Monsieur [Philippe d’Orléans, frère du roi], Madame [Henriette d’Angleterre, première épouse de Philippe d’Orléans], quantité de princes et de seigneurs s’y trouvèrent : il y eut un souper magnifique, une excellente comédie, un ballet fort divertissant, et un feu [d’artifice] qui ne devait rien à celui qu’on fit pour l’Entrée [de la reine à Paris en 1660].

L’excellente comédie – Les Fâcheux – est d’un certain Molière :

« C’est un ouvrage de Molière :
Cet écrivain par sa manière
Charme à présent toute la Cour.
De la façon doit son nom court,
Il doit être par-delà Rome :
J’en suis ravie, car c’est mon homme.
Te souvient-il bien qu’autrefois
Nous avons conclu d’une voix
Qu’il allait ramener en France
Le bon goût et l’air de Térence ?
Plaute n’est plus qu’un plat bouffon ;
Et jamais il ne fit si bon
Se trouver à la comédie ;
Car ne pense pas qu’on y rie
De maint trait jadis admiré,
Et bon in illo tempore ;
Nous avons changé de méthode :
Jodelet n’est plus à la mode,
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d’un pas. » (lettre à Maucroix)

Le 5 septembre 1661, Fouquet est arrêté par d’Artagnan à Nantes. La Fontaine écrit à Maucroix : « Il est arrêté, et le roi est violent contre lui, au point qu’il dit avoir entre les mains des pièces qui le feront pendre. Ah ! s’il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis, d’autant qu’il n’a pas, comme eux, intérêt d’être injuste. » De tous les protégés de Fouquet, La Fontaine est le seul qui lui demeure fidèle. En 1662, il écrit en son faveur L’Élégie aux Nymphes de Vaux, puis l’année suivante, l’Ode au Roi en faveur de Fouquet.

La duchesse douairière d’Orléans.- Le 8 juillet 1664, La Fontaine entre au service de Marguerite de Lorraine, veuve de Gaston d’Orléans : il est nommé « gentilhomme servant de la duchesse douairière d’Orléans », charge peu payée qu’il occupe jusqu’à la mort de la duchesse en 1672. Dans ce magnifique Palais du Luxembourg érigé par Marie de Médicis, la « vieille Madame » n’occupe qu’une partie tandis que l’autre partie est occupée par Anne-Marie d’Orléans – « la divinité » – fille que Gaston d’Orléans a eue avec sa première épouse. Le poète estime qu’on ne peut pas être amoureux dans un tel lieu et s’ennuie ; il y écrit la célèbre Épître à Mignon, le petit chien laissé à la duchesse par sa fille, Marguerite-Louise, avec qui il se compare :

« D’où vient donc que ton cœur soupire ?
Que te faut-il ? un peu d’amour.
Dans un côté du Luxembourg
Je t’apprends qu’Amour craint le suisse ;
Même on lui rend mauvais office
Auprès de la divinité
Qui fait ouvrir l’autre côté.
– Cela vous est facile à dire,
Vous qui courez partout, beau sire ;
Mais moi… Parle bas, petit chien ;
Si l’évêque de Bethléem
Nous entendait, Dieu sait la vie ! »

Dès qu’il le peut, La Fontaine retrouve ses amis Molière, Racine et Boileau, dans une chambre louée par ce dernier, située rue du Vieux-Colombier, auquel s’ajoute parfois Chapelle – le comique familier de Ninon de Lenclos. La Fontaine a 43 ans et loge chez l’oncle Jannart quai des Augustins ; Molière, 42 ans, habite rue Saint-Thomas du Louvre puis rue Saint-Honoré ; Boileau a 28 ans et est installé dans le quartier de la Sainte-Chapelle ; Racine a 25 ans et vit chez un cousin rue Saint-Guillaume. La Fontaine et Racine entretiennent une amitié depuis 1660 ; le « jeune loup ambitieux » a une réelle admiration pour son aîné, lequel admire beaucoup Molière, seul en cour à cette époque. Comme La Fontaine, Boileau est un ami de Maucroix. Les bons repas, les discussions et les récits animent leurs soirées :

« … Dès que la conversation commençait à l’intéresser, et qu’il prenait parti dans la dispute, ce n’était plus cet homme rêveur, c’était un homme qui parlait beaucoup et bien qui citait les Anciens, et qui leur donnait de nouveaux agréments ! C’était un philosophe, mais un philosophe galant ; en un mot c’était La Fontaine, et La Fontaine tel qu’il est dans ses livres. » (Portrait anonyme de M. de La Fontaine).

La Fontaine est surnommé « le bonhomme » par Racine ou Boileau à cause de sa simplicité :

« J’ai parlé dans les Réflexions sur la Poésie d’un autre souper chez Molière pendant lequel La Fontaine fut accablé des railleries de ses meilleurs amis, du nombre desquels était mon père Ils ne l’appelaient tous que le Bonhomme, c’était le surnom qu’ils lui donnaient à cause de sa simplicité : La Fontaine essuya leurs railleries avec tant de douceur, que Molière, qui en eut enfin pitié, dit tout bas à son voisin : « Ne nous moquons pas du Bonhomme, il vivra peut-être plus que nous. » (Louis Racine, Mémoires).

La duchesse de Bouillon. – En 1666 et 1667, La Fontaine publie Les contes et nouvelles en vers, contes licencieux et galants qui connaissent le succès grâce à la duchesse de Bouillon, Marie-Anne Mancini, nièce du Cardinal Mazarin, installée quelques temps en son duché de Château-Thierry. Une Troisième partie est publiée en 1671 et une Quatrième partie en 1674 dans laquelle les personnages sont des moines, des nonnes et des dévotes. Cet ouvrage est interdit par le lieutenant général de police qui n’intente cependant pas de poursuites contre l’auteur ni contre le libraire.

« Il n’appartient qu’aux ouvrages vraiment solides, et d’une souveraine beauté, d’être bien reçus de tous les esprits et dans tous les siècles, sans avoir d’autre passeport que le seul mérite dont ils sont pleins. Comme les miens sont fort éloignés d’un si haut degré de perfection, la prudence veut que je les garde en mon cabinet, à moins que de bien prendre mon temps pour les en tirer. […] Ce n’est pas une faute de jugement que d’entretenir les gens d’aujourd’hui de contes un peu libres. Je ne pèche pas non plus en cela contre la morale. S’il y a quelque chose dans nos écrits qui puisse faire impression sur les âmes, ce n’est nullement la gaité de ces contes ; elle passe légèrement : je craindrais plutôt une douce mélancolie, où les romans les plus chastes et les modestes sont très capables de nous plonger, et qui est une grande préparation pour l’amour. Quant à la seconde objection, par laquelle on me reproche que ce livre fait tort aux femmes, on aurait raison si je parlais sérieusement : mais qui ne voit que ceci est jeun et par conséquent ne peut porter coup ? […] Et puis ce n’est ni le vrai ni le vraisemblable qui font la beauté et la grâce de ces choses-ci ; c’est seulement la manière de les conter. »

En 1668, le poète dédicace à la duchesse de Bouillon Les amours de Psyché et de Cupidon, rédigée sous la forme d’un roman et d’un poème, une fable contée en prose. Au récit d’une promenade à Versailles par quatre amis, le poète mêle de nouveau la féérie et le sens du merveilleux : l’histoire des amours de Psyché et Cupidon est présentée comme le roman de Poliphile, l’un des quatre amis.

« J’ai trouvé de plus grandes difficultés dans cet ouvrage qu’en aucun autre qui soit sorti de ma plume. […] On ne s’imaginera jamais qu’une fable contée en prose m’ait tant emporté de loisir. […] Mon principal but est toujours de plaire : pour en venir là, je considère le goût du siècle. Or, après plusieurs expériences, il m’a semblé que ce goût se porte au galant et à la plaisanterie : non que l’on méprise les passions ; bien loin de cela, quand on les trouve pas dans un roman, dans un poème, dans une pièce de théâtre, on se plaint de leur absence ; mais dans un conte comme celui-ci, qui est plein de merveilleux, à la vérité, mais d’un merveilleux accompagné de badineries, et propre à amuser des enfants, il a fallu badiner depuis le commencement jusqu’à la fin ; il a fallu chercher du galant et de la plaisanterie. Quand il ne l’aurait pas fallu, mon inclination m’y portait, et peut-être y suis-je tombé en beaucoup d’endroits contre la raison et la bienséance. […]
La manière de conter est aussi de moi, et les circonstances, et ce que disent les personnages. Enfin ce que j’ai pris de mon auteur [Apulée] est la conduite et la fable ; et c’est en effet le principal, le plus ingénieux et le meilleur de beaucoup. Avec cela j’y ai changé quantité d’endroits, selon la liberté ordinaire que je me donne. […]
La description d’une partie de Versailles n’est pas tout à fait conforme à l’état présent des lieux ; je les ai décrits en celui où dans deux ans on les pourra voir. Il se peut faire que mon ouvrage ne vivra pas si longtemps ; mais quelque peu d’assurance qu’ait un auteur qu’il entretiendra un jour la postérité, il doit toujours se la proposer autant qu’il lui est possible, et essayer de faire les choses pour son usage. »

C’est encore à la demande de la duchesse de Bouillon – dénommée Uranie dans le texte – que La Fontaine écrit en 1682 le long Poème sur le quinquina qui vante les vertus thérapeutiques de cette plante ramenée au XIe siècle du Pérou par des Jésuites, remède miracle pour soigner la fièvre, et que le poète termine ainsi :

« Corrigez-vous, humains ; que le fruit de mes vers
Soit l’usage réglé des dons de la nature.
Que si l’excès vous jette en ces ferments divers,
Ne vous figurez pas que quelque humeur impure
Se doive avec le sang épuiser dans nos corps ;
Le quina s’offre à vous, usez de ses trésors.
Éternisez mon nom, qu’un jour on puisse dire :
« Le chantre de ce bois sut choisir ses sujets ;
Phébus, ami des grands projets,
Lui prêta son savoir aussi bien que sa lyre. »
J’accepte cet augure à mes vers glorieux ;
Tout concourt à flatter là-dessus mon génie :
Je les ai mis au jour sous Louis, et les dieux
N’oseraient s’opposer au vouloir d’Uranie. »

Lire la suite de la vie de La Fontaine : ici.

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A George Sand – Alfred de Musset

A George Sand

I.
Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées,
Bel ange aux yeux d’azur, aux paupières voilées,
Amour, mon bien suprême, et que j’avais perdu!
J’ai cru, pendant trois ans, te vaincre et te maudire,
Et toi, les yeux en pleurs, avec ton doux sourire,
Au chevet de mon lit, te voilà revenu.
 
Eh bien, deux mots de toi m’ont fait le roi du monde,
Mets la main sur mon cœur, sa blessure est profonde;
Élargis-la, bel ange, et qu’il en soit brisé!
Jamais amant aimé, mourant pour sa maîtresse,
N’a sur des yeux plus noirs bu la céleste ivresse,
Nul sur un plus beau front ne t’a jamais baisé!
 
II.
 
Telle de l’Angelus la cloche matinale
Fait dans les carrefours hurler les chiens errants,
Tel ton luth chaste et pur, trempé dans l’eau lustrale,
O George, a fait pousser de hideux aboiements,
Mais, quand les vents sifflaient sur ta muse au front pâle,
Tu n’as pu renouer tes longs cheveux flottants;
Tu savais que Phébé, l’Etoile virginale
Qui soulève les mers, fait baver les serpents.
 
Tu n’as pas répondu, même par un sourire,
A ceux qui s’épuisaient en tourments inconnus,
Pour mettre un peu de fange autour de tes pieds nus.
 
Comme Desdémona, t’inclinant sur ta lyre,
Quand l’orage a passé tu n’as pas écouté,
Et tes grands yeux rêveurs ne s’en sont pas douté!

Alfred de Musset (1810 – 1857)

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°90 – L’Eléphant et le Singe

L’Eléphant et le Singe de Jupiter

Autrefois l’Eléphant et le Rhinocéros,

En dispute du pas et des droits de l’Empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.
Le jour en était pris, quand quelqu’un vint leur dire
Que le Singe de Jupiter,
Portant un Caducée, avait paru dans l’air.
Ce Singe avait nom Gille, à ce que dit l’Histoire.
Aussitôt l’Eléphant de croire
Qu’en qualité d’Ambassadeur
Il venait trouver sa Grandeur.

Tout fier de ce sujet de gloire,

Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent
A lui présenter sa créance.
Maître Gille enfin, en passant,
Va saluer son Excellence.
L’autre était préparé sur la légation ;
Mais pas un mot : l’attention
Qu’il croyait que les Dieux eussent à sa querelle
N’agitait pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu’importe à ceux du Firmament
Qu’on soit Mouche ou bien Eléphant ?

Il se vit donc réduit à commencer lui-même :

Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un assez beau combat, de son Trône suprême.
Toute sa Cour verra beau jeu.
– Quel combat ? dit le Singe avec un front sévère.
L’Eléphant repartit : Quoi ! vous ne savez pas
Que le Rhinocéros me dispute le pas ;
Qu’Eléphantide a guerre avecque Rhinocère ?
Vous connaissez ces lieux, ils ont quelque renom.

– Vraiment je suis ravi d’en apprendre le nom,

Repartit Maître Gille : on ne s’entretient guère
De semblables sujets dans nos vastes Lambris.
L’Eléphant, honteux et surpris,
Lui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?
– Partager un brin d’herbe entre quelques Fourmis :
Nous avons soin de tout. Et quant à votre affaire,
On n’en dit rien encor dans le conseil des Dieux :
Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 21

Gravure L'éléphant et le singe

L’éléphant et le singe de jupiter. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°89 – Le Singe

Le Singe

Il est un Singe dans Paris
A qui l’on avait donné femme.
Singe en effet d’aucuns maris,
Il la battait : la pauvre Dame
En a tant soupiré qu’enfin elle n’est plus.
Leur fils se plaint d’étrange sorte,
Il éclate en cris superflus :
Le père en rit ;
sa femme est morte.
Il a déjà d’autres amours
Que l’on croit qu’il battra toujours.
Il hante la taverne et souvent il s’enivre.
N’attendez rien de bon du Peuple imitateur,
Qu’il soit Singe ou qu’il fasse un Livre :
La pire espèce, c’est l’Auteur.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 19

 

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°88 – Du Thésauriseur et du Singe

Du Thésauriseur et du Singe

Un Homme accumulait. On sait que cette erreur

Va souvent jusqu’à la fureur.
Celui-ci ne songeait que Ducats et Pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles.
Pour sûreté de son Trésor,
Notre Avare habitait un lieu dont Amphitrite
Défendait aux voleurs de toutes parts l’abord.
Là d’une volupté selon moi fort petite,
Et selon lui fort grande, il entassait toujours :
Il passait les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche :
Car il trouvait toujours du mécompte à son fait.

Un gros Singe plus sage, à mon sens, que son maître,

Jetait quelque Doublon toujours par la fenêtre
Et rendait le compte imparfait :
La chambre, bien cadenassée,
Permettait de laisser l’argent sur le comptoir.
Un beau jour dom Bertrand se mit dans la pensée
D’en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet Avare,
Je ne sais bonnement auxquels donner le prix.
Dom Bertrand gagnerait près de certains esprits ;
Les raisons en seraient trop longues à déduire.

Un jour donc l’animal, qui ne songeait qu’à nuire,

Détachait du monceau, tantôt quelque Doublon,
Un Jacobus, un Ducaton,
Et puis quelque Noble à la rose ;
Eprouvait son adresse et sa force à jeter
Ces morceaux de métal qui se font souhaiter
Par les humains sur toute chose.
S’il n’avait entendu son Compteur à la fin
Mettre la clef dans la serrure,
Les Ducats auraient tous pris le même chemin,
Et couru la même aventure ;
Il les aurait fait tous voler jusqu’au dernier
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint Financier
Qui n’en fait pas meilleur usage.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 3

Gravure Du thésauriseur et du singe

Du thésauriseur et du singe. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°87 – Le Singe et le Léopard

Le Singe et le Léopard

Le Singe avec le Léopard

Gagnaient de l’argent à la foire :
Ils affichaient chacun à part.
L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ;
Et, si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,
Et vergetée, et mouchetée.
La bigarrure plaît ; partant chacun le vit.

Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.

Le Singe de sa part disait : Venez de grâce,
Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;
Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du Pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler ;

Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller,

Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs !
Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le Singe avait raison : ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit :
L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre en moins d’un moment lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au Léopard semblables,
N’ont que l’habit pour tous talents !

Jean de La Fontaine Livre IX, fable 3

Gravure Le singe et le léopard

Le singe et le léopard. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°86 – Le Singe et le Dauphin

Le Singe et le Dauphin

C’était chez les Grecs un usage

Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage
Singes et Chiens de Bateleurs.
Un Navire en cet équipage
Non loin d’Athènes fit naufrage,
Sans les Dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami
De notre espèce : en son histoire
Pline le dit, il le faut croire.

Il sauva donc tout ce qu’il put.

Même un Singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut.
Un Dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement qu’on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le Dauphin l’allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
« Etes-vous d’Athènes la grande ?

– Oui, dit l’autre ; on m’y connaît fort :

S’il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi ; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est Juge-Maire. »
Le Dauphin dit : « Bien grand merci :
Et le Pirée a part aussi
A l’honneur de votre présence ?
Vous le voyez souvent ? je pense.
– Tous les jours : il est mon ami,
C’est une vieille connaissance. »

Notre Magot prit, pour ce coup,

Le nom d’un port pour un nom d’homme.
De telles gens il est beaucoup
Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetants au plus dru,
Parlent de tout, et n’ont rien vu.
Le Dauphin rit, tourne la tête,
Et, le Magot considéré,
Il s’aperçoit qu’il n’a tiré
Du fond des eaux rien qu’une bête.
Il l’y replonge, et va trouver
Quelque homme afin de le sauver.

Jean de La Fontaine Livre IV, fable 7

Gravure Le singe et le dauphin

Le singe et le Dauphin. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°85 – La besace

La besace

Jupiter dit un jour : “Que tout ce qui respire

S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Etes-vous satisfait? – Moi ? dit-il, pourquoi non ?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?

Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;

Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. ”
L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort
Glosa sur l’Eléphant, dit qu’on pourrait encore
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une masse informe et sans beauté.
L’Eléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles.

Il jugea qu’à son appétit

Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste, contents d’eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :

On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.

Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

Jean de La Fontaine Livre I, fable 7

Gravure La besace

La besace. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°84 – Le Renard anglais

Le Renard anglais

A Madame Harvey

Le bon coeur est chez vous compagnon du bon sens,

Avec cent qualités trop longues à déduire ,
Une noblesse d’âme, un talent pour conduire
Et les affaires et les gens,
Une humeur franche et libre, et le don d’être amie
Malgré Jupiter même et les temps orageux.
Tout cela méritait un éloge pompeux ;
Il en eût été moins selon votre génie :
La pompe vous déplaît, l’éloge vous ennuie.

J’ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux

Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de votre patrie :
Vous l’aimez. Les Anglais pensent profondément;
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament :
Creusant dans les sujets, et forts d’expériences,
Ils étendent partout l’empire des sciences
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour.

Vos gens à pénétrer l’emportent sur les autres

Même les chiens de leur séjour
Ont meilleur nez que n’ont les nôtres.
Vos renards sont plus fins, je m’en vais le prouver
Par un d’eux qui, pour se sauver
Mit en usage un stratagème
Non encore pratiqué, des mieux imaginés.
Le scélérat, réduit en un péril extrême,
Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez,
Passa près d’un patibulaire.

Là, des animaux ravissants,

Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire,
Pour l’exemple pendus, instruisaient les passants.
Leur confrère, aux abois entre ces morts s’arrange.
Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains,
Met leurs chefs en défaut, ou leur donne le change,
Et sait, en vieux renard, s’échapper de leurs mains.
Les clefs de meute parvenues
A l’endroit où pour mort, le traître se pendit,
Remplirent l’air de cris : leur maître les rompit ,
Bien que de leurs abois ils perçassent les nues.

Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.

« Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant.
Mes chiens n’appellent point au delà des colonnes
Où sont tant d’honnêtes personnes.
Il y viendra, le drôle ! » Il y vint, à son dam .
Voilà maint basset clabaudant,
Voilà notre renard au charnier se guindant.

Maître pendu croyait qu’il en irait de même

Que le jour qu’il tendît de semblables panneaux:
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux .
Tant il est vrai qu’il faut changer de stratagème!
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N’aurait pas cependant un tel tour inventé ;
Non point par peu d’esprit ; est-il quelqu’un qui nie
Que tout Anglais n’en ait bonne provision?
Mais le peu d’amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.

Je reviens à vous, non pour dire

D’autres traits sur votre sujet ;
Tout long éloge est un projet
Peu favorable pour ma lyre.
Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l’univers
Et se font écouter des nations étranges.
Votre prince vous dit un jour
Qu’il aimait mieux un trait d’amour
Que quatre pages de louanges.

Agréez seulement le don que je vous fais

Des derniers efforts de ma Muse.
C’est peu de chose ; elle est confuse
De ces ouvrages imparfaits.
Cependant ne pourriez-vous faire
Que le même hommage pût plaire
A celle qui remplit vos climats d’habitants
Tirés de l’île de Cythère ?
Vous voyez par là que j’entends
Mazarin, des Amours déesse tutélaire.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 23

Le renard anglais. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF

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“Les Fables” de Jean de la Fontaine – n°83 – Le Renard et les Poulets d’Inde

Le Renard et les Poulets d’Inde

Contre les assauts d’un Renard

Un arbre à des Dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,
S’écria : Quoi ! Ces gens se moqueront de moi !
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les Dieux, non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.

Lui, qui n’était novice au métier d’assiégeant,

Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Harlequin n’eût exécuté
Tant de différents personnages.
Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages.

Pendant quoi nul Dindon n’eût osé sommeiller :

L’ennemi les lassait en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis
Toujours il en tombait quelqu’un : autant de pris,
Autant de mis à part ; près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.
Le trop d’attention qu’on a pour le danger
Fait le plus souvent qu’on y tombe.

Jean de La Fontaine Livre XII, fable 18

Le renard et les poulets d’Inde. J-B Oudry Source gallica .bnf.fr/BnF